Des crédits de carbone bidon à la Ville de Sherbrooke

Claude Dostie Jr, Entrée libre, Sherbrooke, octobre 2014

Vous avez probablement déjà entendu parler du marché du carbone, mais saviez-vous que vos élus s’apprêtent à tenter d’y vendre le fruit des efforts de la Ville en matière de réduction de gaz à effet de serre? Selon les informations obtenues par Entrée Libre, l’administration municipale explore activement la possibilité de vendre prochainement des crédits de carbone (la monnaie d’échange sur les marchés de carbone) qui auraient été générés par le captage de méthane sur l’ancien site d’enfouissement de la Ville. Autrement dit, la Ville souhaite vendre le CO2 qu’elle a capté à d’autres institutions et/ou entreprises. Le hic, c’est que les millions de dollars que la Ville envisage obtenir par la vente de ces crédits pourraient bien n’être qu’un mirage.

Selon un compte-rendu officiel obtenu par Entrée libre, le comité exécutif de la Ville de Sherbrooke a approuvé, en avril dernier, un projet visant la mise en marché prochaine de quelque 200 000 tonnes métriques d’équivalents CO2. Ces « crédits » auraient été générés entre 2009 et 2012 sur l’ancien site d’enfouissement à Fleurimont et la firme sherbrookoise Enviro-Accès aurait procédé à cette quantification des crédits.

 

Les marchés de carbone au Québec

 

Au Québec, il existe deux marchés de carbone. Il y a le marché volontaire, où les transactions de font sans intervention de l’État et il y a son opposé, le marché règlementé, réservé généralement aux grandes industries (alumineries, fonderies, centrales hydroélectriques, etc.) qui sont obligées de compenser leurs émissions de gaz à effet de serre par l’achat de crédits de carbone. Le projet de la Ville de Sherbrooke prévoit la vente de crédits autant sur le marché règlementé que sur le marché volontaire.

Or, l’accès au marché règlementé est restreint et une municipalité comme Sherbrooke ne peut y transiger des crédits que sous des conditions bien précises. Est-ce que la Ville de Sherbrooke respecte ces conditions? Questionné sur le sujet, Mathieu Dumas, consultant à la firme Écoressources, croit qu’il serait étonnant que la Ville de Sherbrooke soit admissible au marché règlementé. Même son de cloche chez Martin Clermont, de Solution Will, un promoteur de projet d’économies de réduction de gaz à effets de serre, qui souligne que, normalement, l’accès au marché règlementé pour ce genre de projet est réservé aux « petites municipalités ». La raison est simple : les grandes villes sont habituellement soumises à des règlementations qui les obligent, entre autres, à capter le méthane qui s’échappe du lieu d’enfouissement.

La Ville de Sherbrooke est d’un autre avis puisque, dans le rapport du comité exécutif, il est spécifié que la Ville peut générer des crédits puisqu’elle capte le méthane de « façon volontaire et non pas par obligation règlementaire. » Qu’en est-il vraiment? Au Ministère de l’Environnement du Québec, on précise que le lieu d’enfouissement de Sherbrooke n’est, en effet, pas assujetti aux obligations prévues par le Règlement sur l’enfouissement et l’incinération de matières résiduelles qui oblige le captage du méthane, puisque le site a été fermé avant l’entrée en vigueur du règlement. On précise néanmoins que « les exploitants de lieux d’enfouissement sanitaire demeurent régis par la Loi sur la qualité de l’Environnement et notamment par son article 20, lequel indique que l’exploitant d’un lieu ne peut rejeter des contaminants susceptibles de porter atteinte à la santé, à la sécurité, au bien-être et au confort de l’être humain. » Bref, selon le ministère, « la Ville de Sherbrooke a mis en place un système de captage et de destruction thermique des biogaz du lieu d’enfouissement sanitaire (LES) en vertu de la Loi sur la qualité de l’environnement. »

Questionné plus précisément sur la possibilité, pour la Ville de Sherbrooke, de générer des crédits carbone par la destruction du méthane, la réponse est catégorique. « […] le captage et la destruction du biogaz étant une condition du certificat d’autorisation émis pour le site à la Ville de Sherbrooke, le projet ne serait pas admissible à des crédits compensatoires », peut-on lire dans le courriel du Ministère.

 

1,2 million ou 50 000 $ ?

 

Si le marché règlementé n’est pas accessible, est-ce que la Ville pourrait se rabattre sur le marché volontaire? Tous les experts consultés par Entrée Libre en doutent. Aucun crédit de carbone ne peut être généré par un projet jugé obligatoire, s’entendent-ils pour dire. « Le fait de respecter la loi ne génère pas de crédits de carbone », confirme Hélène Lauzon, présidente du Conseil patronal de l’environnement du Québec (CPEQ). Marc Paquin, d’Unisfera, un centre de recherche et service-conseil sur le développement durable, est aussi d’avis qu’un projet auquel une municipalité est tenue d’adhérer ne peut générer des crédits compensatoires.

Il serait donc fort étonnant que la Ville puisse obtenir les 6 $ la tonne (de CO2), soit le prix évoqué dans le compte-rendu du comité exécutif. Sur le marché volontaire, tout est une question de perception. Aussi, il est difficile d’évaluer le prix que l’on peut obtenir sur ce marché. Pourtant, les experts consultés par Entrée libre évaluaient tous le prix d’une tonne bien deçà de 6 $.

Encore là, ce prix dépend des conditions du marché, des types de crédits et surtout, de l’organisme qui homologue les crédits. Un certain nombre d’organismes certificateurs existent, dont le Verified Carbon Standard (VCS) et The Gold Standard Foundation, considérés comme les plus crédibles. À Sherbrooke, la Ville propose d’enregistrer les crédits potentiels avec la Canadian Standard Association (CSA), réputée moins exigeante.

Pour Mathieu Dumas, d’Écoressources, penser obtenir 6 $ la tonne pour des crédits CSA datant de 2009, c’est « plutôt ambitieux, pour le dire poliment ». Mme Lauzon, du CPEQ, évalue quant à elle que 3 $ la tonne serait probablement le maximum que la Ville pourrait aller chercher.

De son côté, Yves Legault, président de National Écocrédit, un spécialiste des transactions de crédits de carbone, est plus catégorique. Espérer obtenir 6 $ la tonne pour de tels crédits est, selon lui, « totalement farfelu ». Il considère que des crédits aussi vieux, générés par ce genre de projet de captage (des projets qui ne suscitent plus, selon lui, beaucoup d’intérêt), ne valent pas plus que 0,25 $ la tonne. Autrement dit, les 200 000 tonnes que cherche à vendre la Ville pourraient ne valoir que 50 000 $.

 

Des questions

 

Ce dossier soulève évidemment plusieurs questions. Comment la Ville peut-être ignorer qu’elle capte le méthane par obligation règlementaire? Que va faire exactement cette firme chargée de vendre les crédits de la Ville? Est-ce que le montant que cette firme va facturer sera couvert par la vente desdits crédits?

À la Ville, Christine Fliesen, la chef de la Division de l’environnement à la Ville nous a refusé à deux reprises une entrevue pour cet article. Christine Ouellet, conseillère municipale dans le district de Beckett et présidente du Comité de l’environnement, a aussi refusé de discuter du dossier.

Chez Enviro-Accès, la société sherbrookoise qui aurait quantifié les crédits de carbone pour la Ville, on nous a aussi refusé une entrevue. Et, la Ville de Sherbrooke nous a refusé l’accès au document contenant cette « quantification de crédits de carbone

 

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