Neiges d’antan

Colette Lachance, Le Beau Regard, Sainte-Lucie-de-Beauregard, décembre 2013

Dans notre temps, l'hiver … Quand nous étions jeunes, la neige montait jusqu'au bord du toit … Combien de fois avons-nous entendu ces énoncés à propos de l'hiver et de la neige.

Novembre nous assaille avec ses vents plaintifs et ses matins gelés. Des pluies glaciales détrempent le sol. Déjà quelques flocons flottent dans l'air humide et froid avant de se déposer sur un sol boueux. Depuis plusieurs jours les eaux nous offrent une pellicule gelée scintillant de mille feux aux premiers rayons du soleil. Ces manifestations météorologiques d'automne nous annoncent que l'hiver sera bientôt au rendez-vous.

Les neiges tombées aux premiers jours plus froids de décombre s'attardent au sol, même la chaleur du soleil de midi ne peut complétement l'effacer, ici et là, dans les creux, au pied des conifères, à l'abri des haies, la blancheur persiste. Les changements de température deviennent alors les sujets de conversation. – Les pluies abondantes feront-elles déborder les cours d'eau? – Quand frappera, la première tempête? -Y aura-t-il de la neige à Noël?

Pendant ces jours d'incertitude on s'empresse de terminer les préparatifs permettant de faire face à tous les imprévus qu'apporte la saison froide. Puis un jour la température reste sous le point de congélation. La neige tombée pendant la nuit, et la matinée reste au sol. Plus de sentiers ni de routes. Tout est blanc, uniforme, froid mais la vie ne s'arrête pas même si tout semble enseveli sous un blanc tapis. Ceux qui s'aventurent au dehors laissent des empreintes qui créent un relief bleuté marquant leur passage. Les voitures tirées par les chevaux creusent des sillons parallèles séparés par des marques de pas donnant à la route l'allure d'une feuille de papier à musique.

À mesure que la neige s'accumule, le paysage change. Les objets s'estompent, les toits s'épaississent, les arbres se courbent. Les clôtures qui délimitent les champs ne sont plus que des champignons de ouate. Poussée par les vents la neige s'entasse autour des maisons atteignant le rebord des fenêtres. Les bâtiments de ferme deviennent des monticules poudreux. La campagne entière semble se meubler de collines blanches.

Même les routes disparaissent pour de longs mois dissimulées sous l'épaisse couche de neige qui n'est pas enlevée. Ces routes, grâce aux soins assidus des citoyens, deviennent de longs pavés blancs durcis par le passage répété du rouleau de bois qui écrase la neige jour après jour. Les voitures d'hiver aux fins patins aussi bien que les lourds traineaux chargés de bois circulent sur les chemins sans s'enfoncer, guidés pa.r des balises plantées çà et là. Les enfants raffolent des côtes devenues des glissoires géantes. Ces jeux présentent peu de dangers; les clochettes dont sont garnis les attelages s'entendent de loin. Isolés dans des déserts de neige, les habitants rêvent du retour de beaux jours.

Il  faudra attendre le milieu du XXe  siècle pour voir des véhicules motorisés en hiver. Les «snows», curieux véhicule à l'allure d'un barbot géant, chaussé à la fois de patins et de chenilles franchit les routes et les champs défiant la neige et la glace. Seulement quelques braves conducteurs osent l'acquisition de cette étrange machine. L'autoneige est trés utile aux postiers Émile Aubé, Élias Lavoie, Jean Rouillard pour acheminer le courrier. Aux quatre coins du canton, Alphonse Leclerc et Jean-Baptiste Couture transportent les gens ainsi que les marchandises. Quelques autres aventuriers de l'hiver adoptent aussi ce nouveau véhicule pour le travail en forêt.

Toute la population rurale apprécie ce nouveau moyen de transport qui permet de se rendre à l'église et au magasin général, assis à l'abri de la neige et du vent, même si souvent les gens doivent s'entasser sur l'étroite banquette du véhicule. Ces drôles de «bibittes» creusent dans la neige des traces auxquelles s'ajustent parfaitement les luges et les traines sauvages. Ces traces glacées garantissent de longues et vertigineuses descentes augmentant le plaisir des amateurs de sports d'hiver.

Au cours de ces années les citoyens obtiennent, qu'au printemps, la neige soit enlevée des routes principales. D'énormes« bulldozers» s'attaquent à l'épaisse couche de neige durcie, creusant de profondes tranchées pour accélérer la fonte et faciliter un dégagement plus hâtif des chemins. Ces travaux titanesques attirent les curieux de tous les âges. Pour mieux observer la scène, grands et petits grimpent sur les énormes blocs de neige risquant, des chutes dans l'ornière laissée par la lourde machine.

Puis les carrioles et les «snows» font place aux automobiles, de plus en plus nombreuses, et qu'on veut utiliser en tout temps. Vers 1960, monsieur Eugène Bilodeau obtint un contrat de déneigement. Avec ses camions, grattes et souffleuses il assure à la population des routes dégagées tout au long de l'hiver. Depuis les déneigeurs se succèdent afin de permettre une circulation sécuritaire en tout temps.

Au fil des ans, il y a eu des hivers plus ou moins froids. De la neige abondante ou absente. De la pluie, du verglas. TI y a eu des Noël sans neige, gris, sombre. Des Pâques où il a fallu se frayer un chemin dans l'épais tapis gelé. On se souvient plus des conditions extrêmes que des beaux jours ensoleillés.

Il y  aura encore de la neige!

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