Philippe Pallafray, un miroir du temps présent

Normand Gagnon, Autour de l’île, L’île d’Orléans, octobre 2013

Depuis tout jeune, plongé dans le domaine de l’art et des antiquités, Philippe Pallafray n’a jamais pu ni voulu en sortir. Ses premières armes, il les fit chez un antiquaire alors qu’il était encore étudiant. Puis, il passa 10 ans chez Drouot (Paris), plaque tournante du marché international de l’art, et fonda par la suite, avec sa compagne Anne-Yvonne Jouan, sa propre maison d’enchères, à Sens, en Bourgogne. Établi à Sainte-Pétronille en 2005, il exercera alors le métier d’importateur d’antiquités françaises et s’adonnera graduellement à une création autonome.

En 2010, c’est la rupture avec le commerce, mais pas avec l’art. À partir de ce moment, il consacre l’essentiel de son temps à produire et à recycler des meubles – industriels surtout – auxquels s’ajouteront par la suite des œuvres d’art hybrides qui occupent un large spectre s’étendant du tableau à la sculpture, de l’oeuvre statique à l’animation audiovisuelle. Aucun matériau n’échappe à son entreprise : métal, verre, Plexiglas et plastique, bois collé, flotté et panaches, etc. Tout est bon pour donner vie à la folle du logis ! C’est sans contredit à un artiste multidisciplinaire en plein élan auquel nous avons affaire aujourd’hui; ses oeuvres, toujours étonnantes et fascinantes, se montrent parfois graves par le sujet et le traitement, parfois enjoués. Mais toujours, on y décèle une poésie et un sens de l’esthétisme particulièrement développés, amenés à des hauteurs peu communes.

 

L’univers de l’artiste

 

Sensible au monde qui l’entoure, Philippe P. explore des thématiques sociales et environnementales où la beauté et la fragilité de la nature se heurtent à l’urbanisation débridée et à l’industrialisation sauvage. Dans une série de tableaux sculptures amorcée en 2012, l’artiste évoque l’effondrement de nos sociétés en mettant en scène des animaux en voie de disparition qui évoluent dans des espaces urbains ou industriels : Too big to fail 1 et Too big to fail 5 attestent explicitement de ces préoccupations en montrant, pour le premier, une baleine évoluant dans une grande ville submergée et, pour le deuxième, un ours polaire à proximité d’une tour de forage pétrolière ancrée dans une marée noire. Attaque chimique, quant à lui, fait ce constat des humains à la fois responsables et victimes de ces désordres. Dans la même veine, M.TBTF remet en question la technologie comme instrument d’asservissement ; une humanoïde vêtue de métal nous invite à visionner sa mémoire dont le contenu est rendu par un récit photographique du dernier siècle projeté sur l’une des faces du cube de Plexiglas qui lui tient lieu de tête. Étrange et inquiétant, ce personnage froid, sans émotion.

Mais l’artiste se montre aussi parfois submergé par ce qui semble être une véritable vénération du monde animal. Avec Raies et Méduses, on assiste en effet à un authentique éloge de la beauté de ces animaux marins même si l’on sait qu’ils ne vont pas tarder à disparaître. Dans ces « tableaux » de métal et de Plexiglas, sur le bleu profond de la mer ayant encore une fois tout englouti, ces êtres précaires apparaissent comme suspendus dans cet espace-temps qui leur est ultimement attribué ; l’harmonie et l’apaisement qui s’en dégagent, malgré la présence des immeubles qui rappellent la catastrophe, nous font vite rejoindre l’auteur dans sa passion pour les conserver et sa crainte de les perdre.

Sur un ton un tantinet plus serein et avec un brin d’humour, Philippe aborde aussi avec autant d’éloquence des sujets comme le mariage gay (Ève et Ève) et le stress de la vie (La fuite).

 

La carrière

 

Bien ancré dans son milieu, Philippe s’est intégré à BLEU et s’est de plus récemment initié aux arcanes de la Politique québécoise d’intégration des arts à l’architecture et à l’environnement des bâtiments et des sites gouvernementaux et publics. Nul doute, donc, que nous pourrons sous peu observer de près l’une de ses œuvres dans un espace public, espérons-le, près de chez nous. Les grands salons d’art qui se déroulent à Montréal, Ottawa, Toronto et New York constituent actuellement ses principaux points de vente où il obtient un bon succès avec ses meubles, ses tableaux et ses sculptures.

Décidément, le miroir a le vent dans les voiles… et l’esprit du temps présent !

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