Ma maison est tellement bien isolée…

Daniel Gagné, Le P’tit Journal de Malartic, Malartic

Je suis un contemplateur; je prends des photos d'oiseaux, de fleurs, de nuages quand ils sont beaux, d'orages particulièrement impressionnants; bref, je profite du bon temps, de la nature, de ce calme enveloppant en toutes saisons.

Je suis si bien isolé du bruit, qu’hier, sans même que je ne perçoive un seul son, on a tué dans ma cour des êtres auxquelles j'étais attaché, comme on l'est aux petites bêtes que l'on soigne, pour leur beauté et pour ce qu'elles nous donnent.

Un petit chien est entré sur le terrain, pendant que je prenais une pause à la maison et que pour plaire à mes poules, j'avais laissé leur porte ouverte; j'avais tellement hâte de les laisser profiter du temps doux, de ce printemps qui tarde.

Horreur en sortant! Une de mes poules crie à la mort alors que ce petit chien plein de rage tente de lui enlever la vie, comme il a réussi à le faire pour Coco mon petit coq et Cocotte sa belle petite compagne naine, comme lui.

Deux de mes trois poules rouges sont blessées et attendent complètement traumatisées sur le bord de la porte. Je les retourne à leur paillasse et je cherche ma belle Pit, que je trouve de l'autre côté d'un banc de neige, presque sans plumes, encore vivante, les yeux ouverts sur la peur. Je la prends dans mes bras, lui parle doucement, sachant bien que ses blessures sont bien trop importantes pour qu'elle puisse survive.

Avant de mettre fin à ses jours d'un coup de hache, je lui dis que je l'aime et je m'offre une crise de larmes, comme les êtres importants nous en inspirent quand ils ferment les yeux pour toujours.

Ce matin mes deux poules blessées et survivantes de ce drame sont encore bouleversées, au point d'avoir peur de moi, alors que normalement elles courent pour voir ce que je leur apporte comme collation avant de leur dire merci pour leurs œufs que je rapporte, espérant ainsi, ne pas leur faire de peine. Elles sont collées l'une sur l'autre dans le petit espace où elles pondent habituellement, les yeux pleins de crainte; j'ai le sentiment qu'elles ne peuvent même plus me faire confiance, moi qui les ai laissé seules avec petit chien fou comme un tueur en série.

Je leur promets de ne plus laisser la porte ouverte, d'être plus doux que jamais avec elles, de leur parler plus longuement à chaque matin, de les traiter comme les poules de luxe qu'elles sont.

J'ai fais un feu capable d'incinérer Pit, Cocotte et Coco et je souhaite sortir moi aussi de ce moment de terreur dans mon petit paradis. Aujourd’hui, sur la neige couverte de plumes, les mésanges viennent s’approvisionner de ce confortable duvet, où vont naître ce printemps, des dizaines de petits oiseaux bien au chaud, dans des nids tapissés du ramage de ma belle poule rouge.

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