Tel le phénix, Shawinigan renaît de ses cendres

Matthieu Max-Gessler, La Gazette, Mauricie

La Ville de Shawinigan a vécu son lot de tragédies économiques dans les dernières années, avec la fermeture de plusieurs usines garantes de centaines d'emploi. Les conséquences de cette désertion n'ont épargné aucun secteur, pas même le centre-ville. Si certains ont pu baisser les bras face au malheur, beaucoup d'autres se sont retroussé les manches et ont travaillé d'arrache-pied pour redonner ses lettres de noblesse à la cité de l'énergie. Pour un résultat plus que surprenant, surtout en aussi peu de temps…

Le secteur Shawinigan de la ville de Shawinigan a rarement bonne presse depuis quelques années. Des annonces brutales de fermeture d'usines au récent reportage de l'émission Enquête sur le financement et la gestion des Cataractes, l'image de la ville de 50 000 habitants a encaissé plus d'un coup, en particulier sur sa santé économique.

Malgré ce lot de mauvaises nouvelles, dont la plus récente est la fermeture de la machine numéro 10 de l'usine Laurentides de Produits Forestiers Résolu, Philippe Roy, directeur général de la Chambre de commerce et d'industrie de Shawinigan, croit que la ville s'est bel et bien relevée de ces épreuves. «Le milieu industriel a quitté, c'est triste, mais c'était peut-être inévitable, relativise-t-il. Mais les petites et moyennes entreprises (PME) poussent de partout, le milieu économique se renouvelle: il y a un beau dynamisme, surtout dans le milieu entrepreneurial. On a remonté la pente.»

Nancy Gélinas, commissaire au commerce au Centre local de développement (CLD), abonde dans le même sens. «La mondialisation fait mal aux grandes entreprises et les villes en paient les conséquences, estime-t-elle. Aujourd'hui, dépendre de quatre ou cinq grandes entreprises pour l'emploi et le développement économique d'une ville, ce n'est vraiment pas bon. Shawinigan a été dans les premières villes à comprendre cette leçon et à créer un comité de diversification économique pour ne plus être à la merci de quelques grandes usines.»

 

Un milieu économique en excellente santé

Cette dépendance aux grandes compagnies, Shawinigan s'en est affranchie depuis plusieurs années, avec pour résultat une gamme d'entrepreneurs audacieux. Il a toutefois fallu que quelques braves pavent la voie pour ce renouveau économique. «Le secteur Shawinigan a un bel avantage sur les autres secteurs de la ville, il a bénéficié d'investissements privés et de la ville, poursuit Mme Gélinas. Il y a eu des étincelles, comme les Frères Lemieux qui ont investi sur l'aspect de l'avenue Willow, qui ont créé un effet d'entraînement.»

Shawinigan ne manque d'ailleurs pas de potentiel pour des entrepreneurs créatifs, selon Philippe Roy. «Avec le vieillissement de la population, les entrepreneurs prennent leur retraite alors que les jeunes arrivent sur le marché du travail, explique-t-il. Ils prennent leur place avec leurs idées, leurs projets, leur vision. C'est ce qui crée le dynamisme qu'on voit aujourd'hui.»

 

Quand tous mettent la main à la pâte

Si le secteur Shawinigan a pu renaître de ses cendres aussi rapidement, c'est certainement grâce à la concertation des acteurs de tous les milieux : politique, économique et de l'enseignement. «Quand la Belgo a fermé, en 2007, les acteurs en développement ont crié au besoin de réagir, se rappelle Nancy Gélinas. La clé a tout de suite été identifiée : s'asseoir ensemble et penser à une stratégie commune. Quand on travaille ensemble, ça va peut-être un peu moins vite, mais on va beaucoup plus loin.»

En plus d'assurer la survie économique de Shawinigan, cette mise en commun des efforts a permis la réalisation de projets novateurs. «La mobilisation du milieu entrepreneurial et les partenariats qui se sont créés ont permis d'amener de nouveaux concepts qui rendent le milieu dynamique, illustre Philippe Roy. Ça n'aurait pas été possible sans cette cohésion. Derrière les fermetures, il y a du positif qui est ressorti : la solidarité des gens.»

Parmi ces projets, le Centre d'entrepreneuriat Shawinigan, inauguré l'automne dernier à l'édifice Wabasso. À l'instar de Mme Gélinas et de M. Roy, le directeur général du Centre, Daniel Béliveau, croit que si les fermetures d'usines ont fait très mal à Shawinigan, elles ont également créé des occasions en or pour les entrepreneurs présents et futurs. «Beaucoup d'expériences montrent que l'entrepreneuriat vient avec la nécessité, explique-t-il. C'est peut-être triste à dire, mais les crises économiques créent des occasions. Drummondville l'a déjà vécu et a pris le virage des PME. Ça devient un projet collectif.»

 

Aller plus loin

Il ne faut jamais se reposer sur ses lauriers, dit le proverbe. Alors que le milieu met les bouchées doubles pour favoriser la diversification économique de Shawinigan, les investisseurs ont également leur part des choses à faire, souligne Nancy Gélinas. «Les agents de développement économique ont le devoir de mettre en valeur notre environnement pour inciter les entrepreneurs à s'installer ici. Mais ces derniers ont aussi leur part de responsabilité. Encore récemment, un restaurant a fermé ses portes. Les gens ont réagi en disant que ce marché-là est saturé: c'est faux! Il y a encore des spécialités et des créneaux inexploités.»

En effet, il reste encore énormément de potentiel à exploiter à Shawinigan, selon les trois intervenants. Et pour Daniel Béliveau, la compétition n'est plus une excuse au 21e siècle. «Avec Internet, les entreprises ont une ouverture sur les marchés québécois, canadien et même international, soutient-il. La compétition n'est plus locale: la clientèle peut venir de partout!»

Laurent Beaulieu, gérant du Broadway Pub et nouveau président du Regroupement des gens d'affaires du centre-ville de Shawinigan, abonde dans le même sens que Mme Gélinas. Tout en se défendant de vouloir critiquer ses confrères entrepreneurs, il croit que certains pourraient pousser leur entreprise encore plus loin et ainsi augmenter l'offre de services… à condition de mettre l'épaule à la roue. «Les gens recherchent de plus en plus la qualité et il y a la place pour ça à Shawinigan, insiste-t-il. Au Broadway, on travaille sans cesse sur la promotion, il y a toujours du développement à faire. Chacun a le devoir d'attirer du monde et si dans le secteur, ça va bien en général, certains ont à travailler là-dessus.»

 

Fini, la grande entreprise?

Si Shawinigan a appris à se passer de la grande industrie, faut-il lui fermer complètement les portes de la ville pour ne pas risquer de revivre les tragédies du passé? Selon Daniel Béliveau, un tel raisonnement serait une erreur. «Si on veut une économie forte, ça prend des entreprises de toutes les tailles, explique-t-il. On ne peut pas compter uniquement sur les PME pour la création d'emploi. Mais beaucoup de grandes entreprises ont commencé par être de taille plus petite. Raison de plus de soutenir les PME : elles pourraient grossir dans l'avenir.»

Nancy Gélinas tient un discours semblable. Pas question de rejeter une entreprise d'ampleur qui souhaiterait s'établir sur le territoire de la cité de l'énergie, au contraire! «Il faut être prêts à recevoir ce type d'entreprise, ne pas attendre que quelqu'un frappe à notre porte pour mettre la table, croit-elle. Si une usine souhaite déménager ici dans six mois, il faut que la Ville soit prête à l'accueillir.»

 

Vers une culture entrepreneuriale

La prochaine étape pour Shawinigan: développer une culture entrepreneuriale, tâche à laquelle tous les intervenants locaux se sont déjà attelés, à commencer par la Commission scolaire de l'Énergie. Cette dernière mise sur l'implantation de projets entrepreneuriaux, par lesquels les élèves sont appelés à développer des valeurs entrepreneuriales telles l'initiative, le leadership et la créativité. «Il faut que ça commence dès l'école, affirme Mme Gélinas. Aujourd'hui, il ne faut pas juste choisir son métier, mais aussi la façon de le faire.»

Du côté du Centre d'entrepreneuriat, Daniel Béliveau estime lui aussi que la machine est bel et bien en marche. «Avec tous les commentaires quotidiens qu'on reçoit, on peut être optimiste, soutient-il. Les gens se mettent en action et c'est comme ça qu'on relève une région.»

«Les chiffres ne rendent pas toujours honneur à ce qu'est Shawinigan, admet Mme Gélinas. Il y a beaucoup de préjugés, comme quoi c'est pauvre et c'est vieux. Mais Shawinigan, ce n'est pas que ça, ça ne veut pas dire que la jeunesse n'est pas dynamique et motivée!»

À voir l'enthousiasme des intervenants du milieu économique, difficile d'être négatif quand à la suite des choses pour le secteur Shawinigan!

 

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