SHERPA : Un rare et audacieux projet de mixité sociale !

Gilles Simard, Droit de Parole, Québec

Le très audacieux projet SHERPA a été conçu et réalisé par l’équipe de PECH (Programme d’Encadrement Clinique et d’Hébergement), un organisme de Québec qui oeuvre en santé mentale depuis un peu plus de vingt ans. Il vise à faire cohabiter – dans le quartier St-Roch – quarante-sept personnes éprouvant des problèmes de santé mentale, avec une trentaine d’artistes des environs. Outre sa fonction résidentielle, l’immeuble de huit étages comprendra aussi un Centre de rétablissement et de médiation culturelle, offrant à sa clientèle toute une gamme d’ateliers et de services de base. En outre, dès le mois de juin prochain, l’équipe de PECH déména­gera ses bureaux dans la nouvelle construction qui enjambe l’espace compris entre le boulevard Charest et la rue Notre-. Dames des-Anges, à côté du Squat Basse-Ville.

Projet de logement social à nul autre pareil pour les uns, véritable locomotive du «rétablissement » pour les autres, le projet Sherpa, qui souhaitait loger à la même enseigne une trentaine d’artistes émergents et plus de quarante personnes éprouvant des problèmes de santé men­tale, s’était attiré de nombreux éloges au cours des dernières années.

Toutefois, la première réponse plutôt tiède du milieu artistique, outre de jeter un certain ombrage sur le projet original, aura obligé l’équipe de Pech à refaire ses devoirs et à réaménager ses critères de base au re­gard de la mixité sociale tant souhaitée… Retour sur le cheminement d’un projet, avec, en entrevue, le directeur général de Pech, monsieur Benoît Côté…

 

Une plaque tournantevers la communauté

« Ça fait une bonne dizaine d’années que ce projet-là mijote », lance Benoît Côté, l’un des initiateurs de Sherpa et aussi l’un des fondateurs (il y a vingt ans) de l’organisme Pech, à Québec. « Ce que l’on voulait – et veut toujours – faire par le biais de ce pro­jet-là dit-il, c’est d’intégrer dans l’action les principes mêmes du rétablissement. Ainsi, on s’est rendu compte que le grand défi, pour quiconque a éprouvé des problèmes de santé mentale, consistait à retourner dans la communauté. Le grand défi, c’est de refaire son réseau d’amis et, ultimement, redevenir un citoyen à part entière…Rede­venir un parent, aimer, être aimé, avec tout ce que ça comporte. Et, c’est dans ce sens-là qu’on a voulu faire de Sherpa un Centre de rétablissement, conclut-il. C’est dans cette optique-là qu’on a voulu offrir des ateliers portant sur le mieux-être, sur l’Art en gé­néral, en même temps qu’on a aussi voulu offrir des services de base comme le psy­chiatre, le médecin, le pharmacien, le tra­vailleur social, etc. Finalement, résume le directeur, on voulait offrir à nos gens le plus de services possibles, le plus d’activités pos­sibles pouvant leur apporter quelque chose sur le plan individuel. En un mot, offrir tout ce qui pourrait les propulser à l’extérieur, les amener à se servir des ressources de la communauté environnante. Tout ce qui pourrait les amener, aussi, à s’intégrer dans la dite communauté. »

Ici, monsieur Côté insiste sur le carac­tère « intersectoriel » et complémentaire des activités de Sherpa et sur le fait que dans le communautaire, on a souvent cet­te mauvaise habitude de « contraindre » les personnes utilisatrices à aller vers des services trop spécialisés, perpétuant ainsi le travail en silo, avec les résultats miti­gés qui en découlent souvent (difficultés d’accès, dossiers incomplets, manque de suivi, duplication, etc.).

 

Des « résistances » inattendues!

Cela dit, tout en reconnaissant qu’ils étaient peut-être tombés dans certains cli­chés, Benoît Côté parle de l’art comme d’un point commun aux deux groupes visés par le projet de mixité sociale Sherpa. « J’ai tou­jours pensé, explique-t-il, qu’il y avait une certaine similitude, une certaine équation entre les artistes et les personnes éprou­vant des problèmes de santé mentale. Par exemple, en santé mentale, on utilise beau­coup l’art pour exprimer toutes sortes de réalités. Que ce soit la peinture, la musique, le théâtre, la littérature, les arts manuels, l’art et ses dérivés sont utilisés comme faire-valoir, comme moyens d’expression privi­légiés, comme façons de relaxer, ou d’aller à l’intérieur de soi, comme supports théra­peutiques avec effets de catharsis, etc. »

Et monsieur Côté d’enchaîner en di­sant que parce que les artistes étaient fa­cilement marginalisés, et parce qu’on les traitait souvent à tort « d’assistés sociaux de luxe », celui-ci avait toujours cru qu’ils devaient eux aussi se sentir exclus, ostra­cisés, un peu comme le sont les « fous » dans la cité. Partant, il pouvait, il devait nécessairement exister un courant de sympathie naturelle, une solidarité entre ces deux catégories d’exclus.

« Et bien je m’étais royalement trompé, complète avec un brin de dépit le directeur de Pech. À la lueur des résistances qu’on a connues, et du peu de succès que notre programme a connu (au départ) avec les artistes, je me rends compte qu’on a eu à faire, du moins en partie, à la bonne vieille discrimination… Compte tenu de ce qui a circulé dans certains médiaux sociaux, précise Benoît Côté, je me suis aperçu avec stupeur que dans certains cas, on se butait à cette bonne vieille stigmatisation. Celle-là même qui fait que je suis devenu un mili­tant des groupes de défense de droits en santé mentale, il y a trente ans. »

 

En avant toute!

Qu’à cela ne tienne, monsieur Côté dit ne pas trop s’en faire avec la suite des événe­ments. « C’est sûr que si c’était à refaire, on procéderait autrement avec les artis­tes. On irait d’abord avec de petits grou­pes. N’empêche, assure ce dernier, on s’en remet bien. Actuellement, l’échéancier du projet Sherpa est respecté et, si tout va bien, on fera l’ouverture officielle du Cen­tre de rétablissement cet automne. Ça va être un grand moment. En attendant, on se prépare pour le déménagement. Entre la mi-mai et la fin-juin, ça sera un vérita­ble branle-bas de combat. En plus de nos bureaux, il y aura pas moins de 77 démé­nagements. Ouf!… »*

* Aux dires de monsieur Côté, il y aurait encore quelques logements (sub­ventionnés) de quatre pièces et demi à louer… La date d’échéance pour les de­mandes est passée du 31 janvier au 15 février. Rappelons que ces logements sont destinés à des artistes recon­nus (ou en voie de l’être) et qu’il faut constituer une famille (monoparentale ou autres), à faible revenu, avec enfant s) pour être admissible.

 

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