Le Carnaval Off – Se réapproprier la fête !

Marc Boutin, Droit de parole, Québec

 

D’hier à aujourd’hui

Né à Québec, j’ai vécu le Carnaval bien avant que l’industrie touristique ait fait main basse sur la fête.  C’est par les activités du Carnaval que je découvrais, adolescent, les différents quartiers de la ville. Place d’Youville a longtemps été au coeur des festivités, mais je me rappelle un palais de glace à la Place d’Armes, un concours de sculptures rue Calixa-Lavallée, une parade de nuit rue Saint-Joseph et une descente aux flambeaux au Lac-Beauport.  Les activités du mardi gras avaient une saveur particulière, les touristes avaient quitté la ville.

L’importance des quartiers

J’ai souvenir surtout d’une fête Place du Marché Finlay (Place de Paris). Le prétexte: un concours de souque à la corde entre tavernes. La «Donat Lapointe», une des tavernes de la place, avait lancé un défi à une taverne de Saint-Roch. Chaque taverne autour de la place avait sa propre sculpture de glace. Le public bravait le froid en encourageant l’équipe locale aux fenêtres. Il faisait 20 sous zéro mais « on était chauds ». Le tout se terminait sous les huées (Saint-Roch avait gagné) dans les tavernes des alentours (Lapointe, Carrier, Turgeon, Louis-XIV, etc.) mais aussi, pour ceux qui s’intéressaient aux filles, dans le bar-salon plein à craquer de l’hôtel Brochu. Je suis entré mais la serveuse m’a mis à la porte – trop jeune. J’ai fini au sous-sol du Louis-XIV où l’ami des égarés, le peintre Georges Saint-Pierre, laissait entrer tout le monde.

Plus tard c’est sur la rue Sainte-Thérèse dans Saint-Sauveur qu’il fallait aller prendre un verre. Dans un bar qu’on imaginait clandestin, Chez Ti-Père. La rue était en liesse, avec des sculptures et des glissades et des gens «recevant» ici et là, le long du parcours. Une chaleur humaine et un exotisme à faire déborder le vase, à deux pas de chez soi.

 

Un Carnaval industriel

Un jour, je me suis rendu compte que la poésie n’y était plus. Tout devenait répétitif, figé. Un calendrier à date fixe (à la demande de l’industrie hôtelière), le palais toujours à la même place, les activités concentrées autour de l’hôtel Hilton et la magie du Mardi gras disparue. Bien sûr, la course en canot reste, les enfants aimeront toujours les parades et les sculptures sont aussi superbes qu’autrefois. Mais en ce qui me concerne, le coeur n’y est plus : Espace Hydro-Québec, Zone loto-Québec, Village M. Christie/Kraft – ouashe ! Vraiment plus capable !

Quelle explication donner à la débandade ? Le charme ne venait pas tant des évènements eux-mêmes. Quoi de plus quétaine qu’une partie de souque à la corde. C’était plutôt le contexte urbain qui donnait une poésie au carnaval: les quartiers habités qui, dans leur diversité humaine et architecturale, servaient de cadre aux évènements. Québec, tout en restant ma ville natale, devenait pour moi dans les jours précédant le mardi gras, aussi mystérieuse et baroque qu’Helsinki ou Vladivostok, et ses résidants aussi insolites et imprévisibles que les noirs du quartier français de la Nouvelle-Orléans ou les blocos du carnaval de Rio. J’étais en même temps à Québec et à l’autre bout du monde.

 

Le OFF Carnaval

Depuis trois ans, le groupe de la Revengeance des duchesses tente de rapatrier la fête vers les quartiers du centre-ville avec un Carnaval off. Le 21 janvier lors d’une conférence de presse, on annonçait que le OFF prenait cette année de l’expansion et que les duchesses s’associaient, pour offrir un programme de musique au complexe du Cercle, et au groupe Exmuro pour investir les espaces publics (de la rue Saint-Joseph) avec des sculptures de glace et de neige.

Saint-Roch est le quartier hôte du volet culturel, mais les duchesses essaimeront au musée du Québec le 2 (soirée d’impro), le 9 avec une parade pour les enfants sur la rue Cartier et le 10, au parc Ferland, pour célébrer la duchesse de Limoilou. Samedi le 9, elles visiteront certains bars sur les rues commerciales des quartiers qu’elles représentent. Il y a même une duchesse du Village-de-L’Anse – et Droit de Parole lui dit «merde», c’est notre favorite.

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