Hors des sentiers

Étienne Walravens, Le Tartan, Inverness

Il y a tant à découvrir à Inverness. Voici quelqu’un au service d’un roi!

Si, comme on l’entend, l’orgue est le roi des instruments de musique, Yves, qui veille, guérit, transforme, déménage des orgues, est au service de rois. Il exerce un métier très rare, loin des sentiers battus. Il n’habite pas la grande ville pour autant, il est des nôtres depuis13 ans. Impossible de décrire simplement la variété des instruments de musique : de la guimbarde (une simple languette de métal) ou des cuillères de bois au piano et surtout aux grandes orgues. Il est aisé d’évaluer la différence entre le travail qui est d’accorder un violon à quatre cordes et celui d’accorder un orgue qui compte plus de trois cents notes et quelques milliers de tuyaux.

Les orgues sont depuis longtemps une fierté du savoir-faire québecois. Que l’on pense à ces célèbres facteurs d’orgues que furent ou sont encore les Casavant, Létourneau, Warren, Déry, Brodeur, auxquels il faut ajouter notre Yves Lévesque connu sous le nom de Facteurs d’orgues Lévesque-Roussin. (ce nom paraît dans l’encyclopédie en ligne, la plus connue, Wikipédia). Ce savoir-faire provincial a pu s’exercer durant un siècle et demi pour meubler les églises du Québec. La compétence d’ici est maintenant dirigée vers l’exportation : les églises anglo-saxonnes des autres provinces, les États-Unis, le Japon et même la Chine. Un autre pays de célèbres facteurs d’orgue est l’Allemagne, probablement à cause de la renommée de J-S Bach. Actuellement donc, au Québec, des orgues, parfois de très grande valeur, cherchent désespérément des acquéreurs. S’il s’en trouve dans la province, le patrimoine reste chez nous, sinon…

C’est ainsi que Yves Lévesque et Jacques Roussin démontent beaucoup de tuyaux qu’ils emballent soigneusement pour les descendre de plusieurs étages et les transporter bien loin parfois. Leur travail n’est pas que négatif, n’est pas que de la mise au rancart de ces magnifiques instruments. Tous ont de temps à autre besoin d’un rajeunissement. Il s’agit pour nos artisans de dépoussiérer, de remplacer des pièces de bois, de métaux, de cuir, des mécanismes électriques, etc. Du travail de domestique, de déménageur, d’ébéniste, de ferblantier, d’électricien. Mais la touche finale et parfois la plus longue est d’accorder l’instrument et là il faut l’oreille, non de l’éléphant, mais de l’artiste.

Ce grand art se contente d’un humble atelier, une ancienne boulangerie de Thetford Mines. Pas d’outils de haute technologie dans ce trois pièces : quelques simples machines à bois, un banc d’essai, le sommier, une soufflerie, des armoires contenant des cuirs, des fils électriques, du matériel de petite soudure, des gabarits, mais pas mal de tuyaux de tous calibres et de toutes formes.

Yves a une formation de sociologue, il a obtenu un bac et une maîtrise en sociologie de l’art à l’université Laval. Il a ensuite donné des cours durant 15 ans, aux CÉGEPS de Thetford et de La Pocatière. Plus musicien que sociologue, il s’est d’abord passionné pour la clarinette, pour ensuite toucher à l’orgue.

Un de ses premiers emplois d’étudiant a d’ailleurs été d’être organiste à l’église St-Vincent-de-Paul à Québec. Il a ensuite occupé durant 15 années la Black Lake, St-Alphonse, etc. Il est ainsi familier avec les orgues et les harmoniums de presque toutes les églises et chapelles de toutes confessions, dans la région. Et puis un jour, il a quitté son emploi de professeur pour se consacrer à sa passion : les grands instruments à vent, c’est-à-dire l’orgue et l’harmonium. Ce dernier fera un jour l’objet d’un bel article dans le Tartan.

L’inventeur de l’orgue serait un ingénieux grec, contemporain d’Archimède, qui cherchait à pomper de l’eau. Il a remarqué que l’air contenu dans une cloche immergée faisait lors de son expulsion, un bruit différent selon la forme de l’ouverture et selon le niveau d’eau. Les bergers de l’Antiquité depuis longtemps, utilisaient des roseaux taillés pour produire des sons différents selon la longueur de la tige, mais Ctésibios fut le premier à utiliser l’eau pour faire varier la colonne d’air. Des tiges creuses on passa aux tuyaux métalliques et aux caissons de bois, afin d’obtenir un son de plus en plus puissant.

Il paraît que l’empereur Néron fit ramener à Rome cette invention, un orgue primitif, à l’eau, afin d’animer les courses de chars. Il en fit usage également au moment où dans le cirque, on lâchait les fauves affamés au milieu des chrétiens. C’est ainsi que, pendant des siècles, l’orgue, instrument de triste mémoire, n’eut pas sa place dans les églises.

Il y fit son entrée au XIe siècle et prit alors une place de plus en plus prestigieuse, jusqu’à ce que le concile Vatican II qui recommandait moins de faste dans les cérémonies, laissa entrer devant les autels des instruments populaires telle la guitare.

 

Mécanisme

Les orgues sont donc comme une armée de flûtes placées sur des caisses (sommiers) remplies d’air sous pression (assez faible contrairement à ce qu’on pourrait croire). Les touches du clavier, par l’intermédiaire d’un clapet, laissent entrer l’air dans la flûte, là il frappe le biseau de la flûte, mettant en vibration l’air contenu dans le tuyau. Ce son, le corps du tuyau l’amplifie. Plus le tuyau est long, plus la note est grave. Ainsi les plus courts, en métal, n’ont qu’un centimètre de long et donnent une (photo En zinc..) note très aiguë. Ils sont faits d’alliages de plomb, zinc et étain. Les plus longs ont jusqu’à 20 mètres de hauteur (64 pieds) et sont en bois. D’autres tuyaux sont à anche. Une fine lamelle de laiton (languette) bat contre l’anche qui est un canal de cuivre en forme de gouttière s’enfonçant dans le noyau de plomb qui l’unit au tuyau, corps de résonance. Une tige de fer (rasette) permet de faire varier la longueur de la languette vibrante et de produire un son.

La soupape ou le clapet (boursette), qui ferme le tuyau, doit être étanche et très souple, c’est ainsi qu’elle est faite de cuir de veau, d’agneau ou, la meilleure, de kangourou. Yves a souvent à remplacer ces pièces délicates qui perdent leur étanchéité avec le temps.

La transmission entre le clavier et la boursette peut être directe grâce à des tiges de bois, des leviers, des tringles. Cette technologie (toujours en usage aujourd’hui) demandait une grande minutie de réalisation pour que le mouvement soit précis et le mécanisme le plus léger possible au toucher.

À partir du XIXe siècle, les principes de transmission se multiplient, ils sont maintenant pneumatiques ou électriques. De plus, un petit ordinateur, placé près des claviers, régularise avec précision le jeu de l’artiste.

Ces dispositifs éliminent certains inconvénients de la transmission mécanique mais distancient l’interprète des organes sonores et le privent de la qualité du toucher direct. C’est toute cette info-électro-mécanique que doivent ajuster les facteurs d’orgues.

 

Soufflerie

Sur la plupart des orgues, le toucher d’une note ouvre plusieurs tuyaux en même temps, ce qui donne ce son riche et harmonieux. Pour alimenter en air l’instrument, jadis on utilisait des soufflets, parfois multiples et de très grande dimension. Ils étaient actionnés à bras d’homme. Pour les grandes orgues, ce travail pénible était parfois exécuté par des prisonniers. La recherche d’une autre source d’énergie s’est faite très tôt, c’est ainsi que la force hydraulique (comme les moulins) a été employée, les machines à vapeur, les moteurs stationnaires à essence et bien sûr le moteur électrique. Les moteurs de 5 chevaux vapeur sont courants. Tout cet attirail bruyant devait être placé loin de l’instrument de musique, on comprend.

 

Le buffet

Ce que l’on voit d’abord d’un orgue, c’est le meuble, le buffet. Il cache et protège, mais aussi porte le son. Il constitue, pour les plus anciens, une oeuvre d’ébénisterie très travaillée, parfois chargée de décorations exubérantes. Les buffets récents sont plus dépouillés. Un mot des chanoines. Ce sont ces tuyaux apparents, assez grands et souvent richement peints. Il faut savoir que souvent ils ne sont que décoratifs et ne servent à rien d’autre.

 

Réalisations

Yves et Jacques ont à restaurer fréquemment le buffet, voire même à le transformer lors de déménagements, afin qu’il prenne place dans un autre espace. Ils ont toute la compétence des ébénistes. Ils ont ainsi, parmi bien d’autres réalisations, déménagé des orgues de Québec vers la chapelle de l’Ermitage St-Antoine à Lac-Bouchette. Le buffet a été fabriqué sur mesure et la disposition des mécanismes animant les 1323 tuyaux, complètement repensée.

Un autre travail, réalisé en 2011, a été de démonter les orgues de Notre-Dame de Thetford pour les replacer dans l’église de Notre-Dame du Lac St- Jean à Roberval. Ce qui les a obligés à fabriquer un nouveau buffet et une nouvelle console (claviers). L’instrument possède 1800 tuyaux. Auparavant, Yves a restauré les orgues de la cathédrale St-Antoine à Longueuil, avec ses 2400 tuyaux.

 

De toutes dimensions

Il existe des orgues portatifs, de quelques centaines de livres quand même! Le plus grand dans une église se trouve dans la chapelle militaire de Long Island à New York, il occupe à temps plein, pour son entretien, quatre militaires musiciens spécialistes de l’orgue. Enfin, le plus grand de tous se trouve à Atlantic City, il a sept claviers et 33114 tuyaux.

Dans sa maison (située en face de la Caisse Desjardins), Yves a installé un petit orgue fait de pièces venues de partout et grâce auquel il peut entretenir sa virtuosité et sa passion. La maison abrite aussi un piano aux caractéristiques rares et plusieurs autres instruments, j’en suis persuadé.

L’orgue s’est raffiné au fil des époques, tout en se compliquant. La description faite ici n’est qu’un pâle aperçu du roi des instruments. L’essentiel était de vous présenter Yves Lévesque, un artisan de chez nous qui, lui, comprend tout dans ces grandes machines à musique.

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