Matthieu Max-Gessler, La Gazette de la Mauricie, Mauricie
L'endettement moyen des canadiens a atteint un sommet cette année, avec un taux de 163,4%. Un taux qui en inquiète certains, comme la Coalition des associations de consommateurs du Québec (CACQ). Toutefois, selon nombre d'économiste, il n'y a rien à craindre… pour le moment. Plusieurs relèvent cependant des tendances inquiétantes, comme l'exclusion du crédit et le recours grandissant aux prêts sur salaire.
Depuis neuf ans, la CACQ mène une campagne de sensibilisation à l'endettement, chaque fin novembre. Dans la marge jusqu'au cou a ainsi pour but de sensibiliser les consommateurs de partout au Québec à «l'importance de l'éducation en matière financière» et sur les dangers de l'utilisation excessive du crédit pouvant mener à l'endettement. «Certaines cartes de crédit, notamment celles offertes dans les magasins à grandes surfaces, ont un taux d'intérêt annuel qui va jusqu'à 30%, explique Jean-Matthieu Fortin, porte-parole de la campagne. Si j'emprunte pour 1 000$ à de tels taux, ça peut être très long à rembourser.» Ce dernier s'inquiète également du taux d'endettement moyen des Canadiens, qui a atteint 163,4% cette année.
Mais la situation est-elle aussi critique que le laisse entendre la CACQ? Selon Bertrand Rainville, du Centre d'intervention budgétaire et sociale de la Mauricie (CIBES), il faut tenir compte de certaines nuances. «Statistique Canada a réaménagé ses manières de calculer l'endettement et exclut désormais les organismes à but non-lucratif, qui ont généralement un taux d'endettement bien plus faible que la moyenne. Ça fait une différence significative dans la progression annuelle de ce taux. En soi, cette statistique n'est pas paniquante.»
Par ailleurs, il est facile de s'endetter pour l'équivalent d'une fois et demi son revenu. «Un ménage qui gagne 100 000$ par année et achète une maison à 160 000$ se retrouve endetté de 160%», illustre M. Rainville. Le conseiller budgétaire souligne également que depuis 2008, le nombre de prêts hypothécaires augmente plus vite que le crédit à la consommation.
Ce taux n'inquiète pas plus Benoît-Mario Papillon, professeur au département des Sciences de la gestion de l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). «Ce serait problématique en cas de bulle spéculative ou si les taux d'intérêts montaient subitement. Pour le moment, ces derniers sont faibles en raison de la dernière crise économique, et ils vont probablement le rester encore quelques années.»
Le crédit plus cher pour les moins nantis?
Certaines formes de crédit, comme le prêt sur salaire, inquiètent toutefois M. Papillon. Les compagnies qui offrent cette option avancent jusqu'à 50% du montant de la prochaine paie de leurs clients et appliquent des taux d'intérêt très élevés. Bien que plusieurs provinces canadiennes aient fixé une limite à ces derniers, il n'est pas rare que ces compagnies fassent payer jusqu'à 40% du montant emprunté, incluant le taux d'intérêt et divers frais, selon le professeur de l'UQTR. «Ce crédit a toujours existé mais il tend à se généraliser, souligne-t-il. Selon moi, avec de tels taux d'intérêt, ça met en cause la capacité de jugement des gens qui y ont recours.» L'Association canadienne des prêteurs sur salaire regroupe 18 de ces compagnies qui ont plus de 500 points de vente au pays. Celle-ci prévient d'ailleurs ses visiteurs de l'existence d'autres compagnies qui ne lui sont pas affiliées.
Outre un apparent «manque de jugement», la précarité de nombre de gens, dont les travailleurs qui sont de plus en plus nombreux à avoir recours aux banques alimentaires, peut-elle justifier le recours à une forme de crédit aussi chère payée? Selon Bertrand Rainville, du CIBES, le crédit est de moins en moins accessibles aux ménages et personnes à faible revenu. «Il y a une exclusion assez systématique de toute personne qui a un problème financier, affirme-t-il. Depuis 1995, ce ne sont plus les caisses populaires qui administrent les prêts, tout a été centralisé et informatisé. Ça ne sert presque plus à rien que j'appelle le directeur d'une caisse ou d'une banque pour négocier un prêt pour ma clientèle: c'est une machine qui décide.»
Par ailleurs, si les faibles taux d'intérêts profitent à ceux qui obtiennent un prêt hypothécaire – et qui en ont les moyens – ils sont toujours aussi élevés sur les cartes de crédit. «De plus en plus, ceux qui ont recours au crédit sont ceux qui en ont les moyens, conclut M. Rainville. Pour ceux-là, c'est bar ouvert.»
Vivre sans crédit, une utopie?
Peut-on se passer du crédit? Le Défi sans crédit de la campagne Dans la marge jusqu'au cou propose du moins d'en diminuer l'utilisation et de mieux prévoir nos dépenses. «Le crédit est devenu nécessaire: on ne peut plus réserver une chambre d'hôtel sans carte de crédit, reconnaît Jean-Matthieu Fortin, de la CACQ. Mais il est utilisé comme un bien de consommation, ce qui nous pousse souvent à hypothéquer nos paies. Il faut se poser la question: pourquoi consomme-t-on autant? Est-ce essentiel?»