Pétrole en mer : opposition des Micmacs

Gilles Gagné, Graffici, Gaspésie

Les opposants à l’exploitation pétrolière et gazière au large des côtes doivent se réjouir de l’insatisfaction exprimée le 27 novembre par les communautés autochtones de la Gaspésie à l’endroit de l’étude environnementale stratégique menée par l’Office Canada-Terre-Neuve-et-Labrador des hydrocarbures extracôtiers.

Les autochtones jugent, avec raison, que cet office n’a pas le recul pour réaliser ou superviser une étude environnementale puisqu’au départ, son mandat – son nom l’indique – consiste à promouvoir les hydrocarbures.

L’Office a réalisé récemment une tournée de certaines communautés concernées par le projet d’exploration et d’exploitation d’un gisement potentiel, connu sous le nom d’Old Harry, mais dont l’ampleur, et même l’existence, restent à prouver. L’emplacement est à 80 kilomètres au large des Îles-de-la-Madeleine, partiellement en eaux québécoises. Le manque de neutralité de l’Office Canada-Terre-Neuve aurait dû le tenir en dehors de toute décision pouvant découler d’une telle étude, dont la portée est bien insuffisante.

Cet avis des Micmacs a été exprimé après une rencontre avec des dirigeants de l’Office. Le porte-parole des communautés de Listuguj, Gesgapegiag et Gespeg, Troy Jerome, saisit parfaitement la menace que peut représenter un dégât au large des côtes gaspésiennes, dans l’éventualité où du pétrole extrait d’Old Harry fuirait et dériverait jusqu’aux côtes.

Ce pétrole affectera le saumon, une ressource primordiale pour tous en Gaspésie, la crevette, le homard, le crabe, la faune et la flore terrestres ainsi que le tourisme. Les autochtones, grâce au jugement Marshall, sont maintenant partie prenante de l’exploitation de toutes les ressources halieutiques.

En Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine, les pêches, la transformation des produits marins et le tourisme génèrent annuellement des retombées dépassant 500 millions de dollars. L’exploitation pétrolière, une activité temporaire, peut-elle «accoter» ces retombées?

Troy Jerome pense même que toute compagnie majeure comme Exxon, BP ou Shell se pointant dans le golfe, dépensera très peu dans les régions limitrophes, et encore moins en Gaspésie et aux Îles, qui semblent d’improbables bases d’exploitation. Que feront ensuite les Micmacs? Actuellement, ils ne divulguent pas leur stratégie. Une alliance avec les autres autochtones du Canada atlantique est sans doute envisagée, peut-être en prévision d’un recours devant les tribunaux, comme dans le cas Marshall.

Les autochtones ne voient pas les ressources halieutiques uniquement du point de vue de ce qu’elles peuvent rapporter maintenant. Pour eux, le jugement Marshall représente aussi un devoir constitutionnel de protéger ces ressources. On aimerait en entendre autant de l’État canadien.

À ce titre, il est permis de se demander si une brèche dans l’armure du gouvernement de Stephen Harper n’est pas en train de se créer, dans l’est du pays tout autant qu’en Colombie-Britannique, où la course effrénée à l’exploitation d’hydrocarbures commence à indisposer beaucoup de monde.

Nous avons tous besoin d’hydrocarbures. Ceux qui ne possèdent pas de voiture prennent des transports en commun utilisant le pétrole. Les sociétés évoluées du monde tentent de trouver comment l’humanité pourrait se passer de pétrole puisque d’ici quelques décennies, nous aurons épuisé les réserves.

Le pétrole extrait des fonds marins représente une partie importante des hydrocarbures consommés mondialement, mais cette proportion est bien minoritaire comparée aux combustibles fossiles extraits sur terre.

Nous avons donc une marge de manoeuvre. Il est conséquemment logique de reporter l’exploration du pétrole extracôtier, en attendant d’une part que des études indépendantes soient menées pour mieux connaître les écosystèmes bordant l’hypothétique gisement Old Harry, ou en espérant que des méthodes sécuritaires d’exploration et d’exploitation soient développées.

Devons-nous rappeler le gâchis de la plateforme d’exploration Deepwater Horizon, de British Petroleum, dans le golfe du Mexique, en avril 2010? La facture dépasse les 37 milliards de dollars, et le compteur tourne encore. Imaginons un dégât en eau froide, un milieu caractérisé par une vitesse de régénération lente.

Ainsi, on peut qualifier de ridicule l’obligation par le gouvernement fédéral d’imposer aux sociétés d’exploration comme Corridor Resources la création d’un fonds de sécurité de 30 millions de dollars, advenant un déversement. Il en a coûté 1200 fois plus dans le golfe du Mexique.

Il est plus que temps de confier le dossier Old Harry à une commission d’examen indépendante.

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