Quel avenir pour la littérature et le livre au Québec ?

Aggie Perrin, Le Mouton Noir, Bas-Saint-Laurent

À chaque rentrée littéraire, ce sont des centaines et des centaines de livres qui font leur apparition dans les librairies du Québec. La production est foisonnante. Mais la littérature québécoise se porte-t-elle bien pour autant ? Le livre électronique, quant à lui, prend de plus en plus son erre d’aller, à un point tel que certains président la mort du « livre traditionnel ». Faut-il voir là une menace ou, au contraire, une occasion de découvrir des possibilités de lecture encore insoupçonnées ? Six acteurs œuvrant dans le milieu du livre ont accepté de se prononcer sur ces questions.

 

Martin Robitaille, auteur et professeur de lettres à l’UQAR

Un peuple a une littérature forte, diversifiée, profonde, porteuse pour l’avenir (avec ses classiques établis ou en devenir) lorsque cette littérature est estimée, encouragée, débattue, secouée, énergisée par des acteurs passionnés du milieu : écrivains bien sûr, mais aussi éditeurs, libraires, bibliothécaires, professeurs, critiques, journalistes, attachés de presse, animateurs d’émissions culturelles sérieuses (ce qui ne veut pas dire « plates » ou « hermétiques ») ainsi que tout lecteur qui croit en elle en tant que forme d’art. Mais ce n’est généralement pas assez. Une littérature se meurt si elle n’est pas transmise. On ne transmet pas des objets vendables ; on transmet des visions du monde créées par des auteurs dans une langue maîtrisée et néanmoins en constante transformation, relayées par des hommes et des femmes qui sont convaincus que ces visions du monde apportent quelque chose à l’humanité, et accueillies par des lecteurs dont la curiosité intellectuelle et le besoin de connaissance, généralement insufflés à l’école et à la maison, leur donnent le goût de lire – et de relire – toute leur vie, en pleine possession de cette langue que nous avons en partage, de cette langue qui est censée être notre demeure spirituelle. Je pense que l’avenir de la littérature au Québec est, d’après cette seconde partie de l’équation, peu réjouissant.

 

Rodney Saint-Éloi, auteur et éditeur chez Mémoire d’encrier

La littérature québécoise se porte bien. Elle est servie par une quête de diversité remarquable. Elle s’ouvre vers d’autres territoires. On assiste à l’émergence de la littérature amérindienne. Peut-être que la surprise va venir des réserves, de cette mémoire de la blessure initiale, de cette quête de citoyenneté et de dignité. Je cite Naomi Fontaine, Joséphine Bacon, Virginia P. Bordeleau, Natasha K. Fontaine et des dizaines d’autres qui lèvent la tête, imaginant le monde. La diversité enrichit la littérature québécoise. J’évoque ces auteurs venus d’ailleurs qui font flotter sur la ville leur imaginaire : Dany Laferrière, Catherine Mavrikakis, Kim Thúy…

Le livre, quant à lui, peut avoir un avenir si les auteurs et les éditeurs explorent d’autres chemins, outre les lieux communs, les vieux thèmes, les espaces traditionnels et les effets de mode. Oser est le maître-mot : sortir la littérature de la sécheresse du Plateau Mont-Royal et regarder sans complexe le monde. Heureusement, ici, la littérature est prise en main par de jeunes maisons d’éditions (Héliotrope, La Peuplade, Le Quartanier, L’Oie de Cravan, Mémoire d’encrier, etc.) qui osent rêver… et c’est tant mieux si l’audace y est. Car sans cette audace et cette indépendance d’esprit et de pensée, la littérature ne sert pas à grand-chose.

 

Stéphanie Pelletier, auteure

Je voudrais que l’avenir de la littérature soit multiple, vaste, métissée et libre. En écoutant les textes de nos paroliers, en lisant les romans, les essais et la poésie de mes contemporains, je ne peux m’empêcher de remarquer que la littérature québécoise tire une grande partie de sa beauté de l’immensité et de la sauvagerie de son territoire. Il me semble que, malgré nous, nos esprits sont encore influencés par notre fleuve, nos forêts et nos rivières. Nous n’avons pas encore bridé notre territoire. Il existe toujours chez nous des endroits où l’on peut entendre hurler les coyotes à la brunante, où l’on peut croiser des orignaux et se baigner nus dans les lacs sans craindre d’être surpris. Le mystère et l’inconnu continuent de vivre dans nos esprits, car les raisons de craindre la nature, de nous y perdre subsistent encore dans nos paysages. Grâce à cela, nous ne pensons pas petit. Nous ne sommes pas complètement prisonniers de la civilisation. Il y a quelque chose, chez nous, qui ne se soumet pas. Je rêve d’une littérature qui saura préserver cela, mais pour y arriver, il faudra que notre peuple prenne conscience de l’importance de préserver la sauvagerie de son territoire. Chaque rivière que l’on harnache aura pour conséquence de soumettre un esprit. Alors pour garder cette liberté si singulière qui fait la richesse de notre littérature, nous devrons penser l’exploitation de nos ressources naturelles en ayant toujours le souci de préserver ce qui ne saurait être soumis sans être dénaturé.

 

David Nadeau, bibliothécaire et responsable des bibliothèques de la ville de Rimouski

Que dire de plus à propos de l’avenir du livre sinon que tout a été dit ! Et quand je dis tout, c’est au sens propre : il suffit de chercher « avenir du livre » dans un moteur de recherche sur la Toile pour prendre conscience de l’incommensurable quantité de textes et d’opinions qui portent sur le sujet. Mais ne s’agit-il justement pas d’un écueil de la dématérialisation de l’information que permettent le réseau Internet et les nouveaux supports à la lecture ? Les réseaux sociaux, l’auto-édition, les blogues, les sites web personnels et les forums inondent la Toile de nouveaux contenus et d’informations de tout genre. Des experts évaluent aujourd’hui que la quantité d’information sur la Toile double tous les deux ans. Dans ce raz-de-marée informationnel, ce n’est pas la qualité d’un contenu qui assure sa visibilité et sa traçabilité : l’algorithme des moteurs de recherche la considère seulement comme un critère parmi d’autres pour déterminer l’ordre d’affichage des résultats. Pour répondre à ses besoins d’information dans ce contexte, le lecteur doit développer un solide esprit critique, faire preuve de persévérance et mettre à contribution ses compétences informationnelles qui, comme une petite voix intérieure, l’encouragent à ne s’abreuver qu’à des sources crédibles et de qualité.

Et nous voilà de retour à la question de départ : d’après moi, l’avenir du livre repose autant sur la rigueur et la crédibilité de son processus éditorial que sur la volonté des lecteurs de ne consommer que de l’information de qualité. Le livre n’est pas qu’un objet, c’est le fruit du travail de collaboration, de vérification, de révision entre l’auteur et l’éditeur. Le livre, c’est « l’appellation d’origine contrôlée » de l’information, c’est un gage de qualité qui me certifie qu’il mérite le temps que j’investirai à le lire.

 

Lysiane Drewitt, libraire à la Librairie Boutique Vénus

Le livre va-t-il mourir ? Les librairies vont-elles disparaître ? Et le numérique annonce-t-il la disparition d’un certain lectorat et la naissance d’un autre ? Ces questions se posent difficilement en ces termes, mais elles sont assez spectaculaires pour qu’elles circulent ainsi.

Il est bien sûr illusoire de croire que le public se passionnera soudainement et massivement pour les livres d’Honoré de Balzac, d’Ernest Hemingway, de Boris Vian ou encore de Jack Kerouac simplement parce qu’ils sont dématérialisés sur une tablette. Car ici, il n’est question ni de forme ni de format, mais d’un intérêt crucial pour la lecture.

Pour ma part, c’est ma mère qui m’a inoculé le virus de la lecture. J’ai toujours vu ma mère un livre entre les mains ; l’envie et le plaisir de lire, ça se cultive d’abord en famille.

L’envie de lire vient aussi des libraires qui lisent les livres qu’ils vendent, qui savent conseiller, qui savent critiquer et expliquer. Car ils connaissent les livres, ils les décortiquent pour en faire profiter le lecteur.

Par contre, il ne faut pas occulter le fait que le monde de l’édition s’est lancé dans la voie de la normalisation du livre, notamment des romans. Les manuscrits sont ainsi passés à la toise d’une norme, d’un formatage qui empêche trop souvent toute expression de forme et surtout de sens différente.

Pourtant, certains succès devraient faire réfléchir : Stéphane Hessel et son Indignez-vous ! ou encore le film Un vol au-dessus d’un nid de coucou ont d’abord été refusés par les grands distributeurs. Or, ils ont constitué des succès retentissants puisque le public a eu son mot à dire… ce sont, à mon humble avis, des exemples à méditer.

 

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