Vous et moi

Ève Simard, Le Trait d’union, Saint-Bruno-de-Kamouraska

Vous avez des enfants, sans doute des petits-enfants et peut être même des arrière-petits-enfants. Derrière vous, des dizaines d’années ont passé, comme le démontre chaque cheveu blanc qui orne votre tête. Chaque émotion ressentie au fil des ans a laissé sa marque : ici, au coin de votre bouche un brin plissée, ce sourire reconnaissant; là, au milieu du front, un pli d’inquiétude, un autre de contrariété; tout près de l’œil, cette patte d’oie accompagnant votre rire taquin.

Vous me racontez une autre époque. Parfois, vous vous trompez dans vos souvenirs. Ce n’est pas bien grave. J’ai cent fois moins de souvenirs que vous et il m’arrive de faire erreur moi aussi. Vous me parlez de valeurs différentes des miennes, de convictions qui me surprennent. Je ne suis pas d’accord avec vous et c’est tant mieux ainsi. Ça ne m’empêche pas d’aimer vous écouter.

Il arrive que vos mains tremblent. Vos jambes sont lourdes, vos pas quelques fois incertains. Votre voix est devenue plus grave avec le temps. Est-ce le poids des tristesses passées qui l’ont ainsi modifiée? Je préfère croire que ce sont tous ces secrets inchangés et ces mots d’amour chuchotés qui ont fait baisser la tonalité de votre voix.

Vous avez parcouru beaucoup plus long que ce qu’il  reste à votre trajet. Vous le savez. Vous avez compris que vos erreurs passées ne peuvent pas être effacées, mais que vos souvenirs heureux peuvent les atténuer. Ça a passé tellement vite. C’est pour cela que vous conseillez ceux et celles que vous aimez. Vous ne voulez pas qu’ils reproduisent vos erreurs ou qu’ils ne profitent pas assez des bons moments. Je l’ai compris maintenant. Vous pouvez me faire confiance. De temps en temps, vous avez l’impression qu’on ne vit pas sur la même planète. Ça m’arrive de penser comme vous. Tant de générations nous séparent! Tout change à une vitesse folle. L’éducation, la vie de famille, le travail, la santé, les loisirs, les biens matériels; tous ces concepts sont aujoud’hui tellement différents de ce que vous avez connu. La vie que je mène aujoud’hui est à mille lieues de celle que vous aviez à mon âge.

Ni meilleure, ni pire.

Différente. Seulement différente.

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