Marie-Neige Besner, Le Mouton Noir, Bas-Saint-Laurent
Alors que la Basse-Côte-Nord est reconnue comme étant LA destination pour l’observation des baleines, il semble qu’on devra sous peu reconnaître la petite municipalité de Saint-Fabien, au Bas-Saint-Laurent, comme étant LA destination de création de baleines, l’artiste-peintre Caroline Jacques s’étant lancée dans la réalisation de toiles à la grandeur de ce gigantesque mammifère qu’est la baleine à bosse. En entrevue, l’artiste nous fait part de ses motivations et de ses aspirations dans le cadre de ce travail d’envergure.
Pourquoi avoir choisi les baleines?
Caroline Jacques –J’ai toujours été touchée par ce qui se passe d’un point de vue écologique sur notre planète et je suis préoccupée par la précarité de l’environnement. Cela s’exprime de toutes sortes de façons dans mes créations. Ainsi, pendant quelques années, ma source d’inspiration principale a été la planète terre.
Quand j’étais à l’université en arts visuels, je peignais des animaux de ferme industrielle, que plus personne n’ose regarder pour ce qu’ils sont, soit des êtres à part entière qu’il faut respecter. Cette préoccupation est restée en moi et est revenue cette année. J’ai eu une réflexion sur les animaux de ferme qui sont de moins en moins mis en liberté dans les champs et j’ai peint quelques œuvres où l’on peut notamment voir des vaches.
Je fréquente, depuis plusieurs mois, un gars des Îles-de-la-Madeleine qui a travaillé pendant cinq ans à Bergeronnes comme pilote de zodiac pour l’observation des baleines. Il me parle souvent de celles-ci comme étant les déesses de nos eaux […]. J’ai visité les îles cette année avec sa mer et ses histoires. Elles ont été de grandes sources d’inspiration.
Les baleines sont menacées d’extinction, leur survie dépend de la façon dont on gérera leur réserve de nourriture. Le krill, qui constitue leur principale source de nourriture, se reproduit dans des conditions spécifiques, qui sont présentement menacées par la pollution générée par l’homme et le réchauffement planétaire. À l’heure où l’on parle de forage dans le golfe du Saint-Laurent et où nos océans sont de véritables poubelles internationales, je me suis mise, tout naturellement, à peindre les déesses des eaux que sont les baleines et à développer ma série « Hommage aux baleines ».
Quelles sont tes plus grandes influences dans la création de ces toiles?
C. J. –Les nouvelles technologies comme YouTube m’aident à visualiser les baleines! J’observe les cétacés sur le web, je les dessine et les peins en petit format afin de bien saisir leurs formes avant de me lancer dans de grandes toiles.
Cet été, je suis allée aux Escoumins où j’ai pu voir de petits rorquals ainsi qu’une baleine bleue. J’ai aussi été invité par un ami français basque à accompagner l’équipe de tournage de l’émission Thalassa, qui était présente afin de filmer les baleines dans le cadre d’une reconstitution de l’époque où les Basques venaient dans l’estuaire pêcher la baleine.
Quelles sont les espèces que tu peins le plus?
C. J. –Pour le moment, je peins surtout des baleines à bosse, mais je ne sais pas où me mènera cette série.
Y a-t-il une vision politique derrière la création de ces toiles?
C. J. –Tout à fait! Je vais citer Capharnaüm hibernatoire de l’auteur Aimé-Guy Beaulieu, qui se questionnait sur le dessein utilitaire de l’artiste : « Pour cette planète, ne sommes-nous pas que des plaies parasitaires qui détruisent tout ce qu’elles peuvent, prenant tout ce qu’il y a de bon et ne laissant derrière qu’amoncellement de détritus et autres pollutions? A-t-on un dessein utile dans l’ordre des choses ou pourrions-nous en avoir un? » Cette citation me rappelle que je souhaite avoir un dessein utile dans l’ordre des choses. Chaque jour, je me demande comment agir afin d’aller dans le sens du bien collectif et d’emmener les autres avec moi. Je m’interroge sur ce qu’il faut montrer afin d’éveiller les gens à la cause environnementale. Comme tout le monde, j’ai du mal à ne pas avoir un impact néfaste sur ma planète, mais j’aspire à ne laisser qu’une empreinte positive. Pour cela, il faut que, collectivement, nous fassions des efforts afin de mettre en place des structures qui nous permettront d’agir de façon à nuire le moins possible à notre environnement.
En ennoblissant les baleines, en les montrant vigoureuses, belles et nobles, j’espère toucher les gens et leur faire prendre conscience que l’écosystème de notre fleuve est magnifique, qu’il est précieux et qu’ensemble, il faut faire en sorte qu’il soit protégé. Alors, oui, peindre ces baleines est, entre autres choses, un geste politique, un geste de manifestation et d’espoir.
Quand pourrons-nous voir ta collection complète de baleines?
C. J. –Je ne sais pas quand cette série sera terminée. Toutefois, je compte bien avoir une somme d’œuvres intéressante pour l’hiver. J’ai déjà deux grandes toiles de 10’ x 7’, une série de 12 petites toiles et 12 dessins présentant la baleine à bosse en action. J’envisage de présenter ce projet à l’international et de produire un petit livre qui regrouperait mes dessins avec des textes inspirés du fleuve, des baleines et de l’environnement.