Jérôme Savary, L’Itinéraire, Montréal
L’arrivée des premières gelées rappelle aux sans-abri une dure réalité : la rue est un monde sans pitié. À Québec, la nouvelle première ministre Pauline Marois a tout intérêt à adopter une Politique en itinérance.
Le Parti Québécois s’est d’ailleurs engagé à le faire. Ce n’est pas simplement une question d’humanité ou de dignité. Prévenir plutôt que réagir permettrait de réaliser des économies budgétaires importantes, révèle dernièrement une étude sur le coût de l’itinérance.
Cette étude, rédigée par Stephen Gaetz, et qui a pour titre The Real Cost of Homelessness: Can we save money by doing the right thing? (Traduction: «Ce que l’itinérance coûte réellement : Pouvons-nous économiser de l’argent en agissant de la bonne manière?»), propose une synthèse des recherches sur l’itinérance effectuées ces dernières années au Canada et aux États-Unis. Ses conclusions sont claires : loger les sans-abri et répondre à leurs besoins de façon durable est rentable, à la fois économiquement, socialement et humainement.
Les sans-abri, à l’échelle du Canada, coûtent annuellement plus de 4,5 milliards de dollars. En ayant davantage recours que la moyenne des citoyens aux services d’urgence (refuges pour sans-abri) et aux services de santé, et en se retrouvant plus souvent en prison, les sans-abri font exploser les coûts. Par exemple, le rapport indique qu’un sansabri en prison coûte mensuellement 4300 $ à l’État, au lieu de 200 $ s’il était en logement social. Pire, un mois à l’hôpital coûte en moyenne 10 900 $!
Nous apprenons également que nos prisons produisent des sans-abri. En entrant en prison, un détenu sur cinq est sans-abri; en sortant, un prisonnier sur trois prévoit l’être (soit 40 % d’augmentation, selon l’étude citée dans le rapport).
Jean-Guy Deslauriers, camelot à L’Itinéraire depuis 2009 et âgé de 56 ans, est conscient du coût que ses déboires ont occasionné. «Avant d’arriver à L’Itinéraire, je traversais une période assez sombre de mon existence, rappelle celui qui a travaillé plusieurs années comme régisseur de plateau. J’étais en mode survie et dépressif. Je devais quêter pour m’en sortir. Ma consommation de crack et d’alcool me coûtait beaucoup d’argent. Je me suis ramassé en désintox à différentes reprises; là, c’est le contribuable qui paie!
À L’Itinéraire, Jean-Guy a sorti la tête hors de l’eau. Soutenu par notre organisme, il a pu à nouveau contribuer à la société. «Comme d’autres, je suis arrivé ici en catastrophe. Mais dès que suis devenu camelot, ça m’a sauvé la vie, me dit-il à l’autre bout de la table, au Café L’Itinéraire. Je ne quêtais plus et j’avais diminué ma consommation de beaucoup, car je devais travailler. J’ai rapidement repris confiance en moi, car je me suis senti valorisé, faire partie d’un groupe. Ces gens m’apportent du soutien en cas de difficulté. C’est une grande famille finalement. Tu ne trouves pas ça dans la rue.»
Malheureusement, les organismes comme L’Itinéraire, malgré le service public qu’ils rendent quotidiennement, doivent compter sur une rare ingéniosité pour réussir à boucler leur budget. Une Politique en itinérance permettrait de prévenir davantage l’itinérance et de mieux coordonner les services offerts aux sansabri. «S’en sortir tout seul, c’est très dur, lâche Jean-Guy Deslauriers. Ça prend un encadrement.»
Le 19 octobre, l’événement de la Nuit des sans-abri* rappelle à chacun de nous le sort peu enviable de ces dizaines de milliers de personnes, qui n’ont d’autre choix que de survivre. Cette année, le coporte-parole Pierre Gaudreau, qui est également coordonateur du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal, ne se gênera pas pour rappeler l’engagement, pris par le Parti Québécois et sa chef désormais première ministre du Québec, d’adopter une Politique en itinérance.
Le statut quo coûte cher. Selon une étude citée dans The Real Cost of Homelessness: Can we save money by doing the right thing?, offrir du soutien et un toit aux sans-abri peut permettre d’économiser 54 % des sommes investies. En termes de retour sur investissement, c’est dur à battre!
S’attaquer vigoureusement au problème de l’itinérance nous permettra non seulement d’économiser des millions de dollars, mais aussi de faire du Québec une société plus digne. À bon entendeur, Mme Marois.