Sylvie Gourde, Le Tour Des Ponts, Saint-Anselme
Depuis quinze ans, Francine Ferland sillonne le Québec de long en large. Elle déploie talents et énergie à promouvoir les valeurs d’égalité, d’équité, d’éducation, et bien sûr, de coopération. Son véhicule: les conseils d’administration.
Tant au niveau local et régional que provincial, voire même international, elle emprunte un parcours marqué par le modèle coopératif. Il faut scruter son itinéraire pour mesurer l’importance de son implication. Loin d’être prémédité, son cheminement, fait d’une suite d’événements, de coïncidences, ouvrira la voie à tant de femmes. Cependant, pour s’y engager, il lui faut d’abord oser un premier pas.
La femme qui l’inspire Francine Ferland est née àSaint-Gilles-de-Lotbinière.Elle grandit sur une ferme, entouréede six frères et sœurs.«Mon père était producteuragricole. En fait, je dis souvent que c’était ma mère quiétait productrice, car celui-ci,menuisier, travaillait sur deschantiers de construction. Mamère veillait donc aux travauxde la ferme. Outre l’éducation des enfants, elle cultivait ungrand jardin, cousait, tricotait, tissait… Elle était également impliquée dans différents comités.
Présidente du Cercle des fermières, elle a remporté de nombreux prix pour la qualité de ses ouvrages. Perfectionniste et rassembleuse, elle prenait en charge la direction de différents projets, soucieuse de trouver des solutions concrètes aux problématiques rencontrées. J’ai été forgée par ce modèle d’engagement, d’altruisme, d’accueil et du sens des responsabilités.»
Le secondaire terminé, Francine entre dans une manufacture de couture et, quatre ans plus tard, à son mariage, s’installe à Saint-Anselme. Elle devient copropriétaire de la ferme avec son mari Gilles, aujourd’hui Ferme Clauric inc. Elle donnera naissance à quatre enfants qui la combleront de huit petits-enfants. À leur suite, elle s’implique dans les comités d’école et les organismes locaux (ludothèque, pastorale, Fabrique, Cercle de fermières.)
En 1990, elle devient la première femme élue au conseil d’administration d’Unicoop (1990-2004). Puis, de 1994 à 2002, elle œuvre au sein du Syndicat des agricultrices et du Syndicat de base de l’UPA de la Beauce. On la retrouve aussi au CLD de la MRC de Bellechasse (2000-2004). Son dernier-né aux portes de l’adolescence, elle songe sérieusement à retourner sur le marché du travail. Afin de donner une nouvelle corde à son arc, elle entreprend en septembre 1997 une AEC en technique bureautique au collège O’Sullivan de Québec. «Ces apprentissages me furent tellement utiles!»
Au beau mitan de la formation, on l’incite à poser sa candidature à un poste créé spécifiquement pour une femme au conseil d’administration de la Coopérative fédérée. Lors de la tournée du président où assistait près de 600 personnes, des hommes en majorité, il avait été suggéré de faire une place aux femmes afin d’encourager celles-ci à être plus nombreuses au sein des coopératives agricoles. C’est à l’occasion de la Tournée du président, en janvier suivant, qu’on lui tape gentiment sur l’épaule. D’entrée de jeu, elle est réticente à cette formule. « Pensez-y! Il n’y a pas beaucoup de femmes, qui, à ce jour, possèdent votre bagage d’expériences en coopération, votre maturité et votre vision.» Dubitative, elle tasse l’idée. Mais cette suggestion sème dans son esprit assez de graines pour amorcer une réflexion. Au cours de cette période, elle rencontre une femme, directrice générale d’une coopérative, qui l’encourage par ses propos. «Si je n’avais pas accepté de siéger sur un poste réservé à une femme, je n’occuperais pas cette fonction aujourd’hui. J’ai démontré que j’étais capable de faire mon chemin et d’être reconnue pour le travail accompli. De l’intérieur, j’ai réussi à faire changer des choses.»
Ces dernières paroles lui donnent l’élan pour oser. Elle sera élue parmi les cinq candidates. «S’il n’y avait pas eu la rencontre de ces deux personnes, jamais je n’aurais osé, croyant que je n’avais pas les qualifications.
Aujourd’hui, je ne rate aucune occasion pour reconnaître et souligner les talents et encourager les femmes à faire le saut, car elles ne se sentent jamais assez compétentes, organisées. Nous manquons trop souvent de confiance et je ne fais pas exception. »
Un premier tremplin
Francine doit prendre les bouchées doubles pour terminer ses études et entreprendre ses nouvelles fonctions à la Coopérative fédérée. Réunions à Montréal sur deux jours, nombreux comités de travail, représentations s’entremêlent aux cours, travaux et devoirs ainsi qu’aux prérogatives familiales et le travail sur la ferme. Partout, elle peut compter sur l’entraideet la collaboration, tant par des collègues de classe que par sa famille.
Au fil des mois, son rôle se précise au coeur de la Fédération. En plus des dossiers réguliers du conseil, dans le but de promouvoir la présence des femmes au sein des associations, elle s’attable au comité d’éducation coopérative où ce sujet est discuté. Un plan d’action est élaboré pour intéresser et motiver les femmes à prendre davantage de place sur la scène publique. L’idée d’une meilleure représentativité des femmes fait son chemin, grâce à diverses actions mises en place. L’augmentation concrète du nombre de femmes dans les instances coopératives agricoles durant son mandat est sa plus belle récompense.
Même si, des années durant, elle œuvre spécifiquement avec des hommes, elle ne conseille jamais à une femme d’endosser les modèles masculins. «Il faut demeurer soi-même, rester une femme au milieu des hommes. Cela demande une prudence, une vigilance dans nos comportements. Heureusement, l’humour s’avère une clé indispensable à l’harmonie et au respect.»
Les actions menées pour accentuer la visibilité des femmes dans les instances placeront Francine dans la mire du Conseil du Statut de la femme. «Quelle expérience extraordinaire! Ce mandat de quatre ans (2005-2009) a permis de positionner la place des femmes en agriculture et de discuter des problématiques particulières vécues par celles-ci. Je pense, entre autres, à la détresse psychologique des productrices.
En retour, cela m’a permis de peaufiner ma compréhension des objectifs et de la mission du Conseil du Statut de la femme. Celui-ci exerce un véritable rôle de vigie et d’analyse sur les impacts des lois, règlements et politiques sur les conditions de vie des femmes, et ce, quels que soient les secteurs d’activités, dans un souci réel de développement durable.
Comment le développement doit répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs? Le développement durable ne touche pas uniquement l’environnement, mais la société tout entière.»
Scènes locales et régionales
Les années se suivent et multiplient les implications. On la retrouve au conseil d’administration de Développement international Desjardins (1998-2003), d’Olymel (2000 à 2006), du magasin Coop IGA (2005 à 2008), de la Caisse du Coeur de Bellechasse (depuis 2007). En 2005, elle accepte la présidence de la CDR Québec-Appalaches où elle siège depuis 2000. Depuis 2009, elle est présidente de la Fédération
des coopératives de développement régional du Québec, membre du comité exécutif du Conseil québécois de la coopération et de la mutualité, et membre du conseil d’administration de Capital régional et coopératif Desjardins.
À maintes occasions, elle est sollicitée pour agir à titre de présidente d’honneur d’événements ou conférencière. On se souvient, entre autres, de son discours d’ouverture lors de l’Activité reconnaissance des bénévoles de Bellechasse, en avril 2011. Le 7 novembre prochain, à Saint-Malachie, elle donnera le coup d’envoi à la soirée reconnaissance organisée par la Chambre de commerce et d’entreprises de Bellechasse, consacrée cette année aux entreprises.
«Malgré mes engagements régionaux et nationaux, je tiens à garder un ancrage local. C’est ma manière de rester branchée sur les réalités et besoins de chez nous. Étrangement, les enjeux sociétaux sont les mêmes aux quatre coins de la planète et se répercutent sur notre quotidien. Cela nous amène à nous questionner sur comment on peut réagir pour revitaliser notre territoire à la lumière de ce qui se vit ailleurs.»
À l’autre bout de la planète Toujours à titre d’ambassadricede la cause féminine, Francineparticipera à deux missions desensibilisation à l’international.Son premier périple la conduità Madagascar, en 2001, où ellerencontre un groupe de femmesmembres d’une coopérative de microfinance.
«Dans cette région du globe, les femmes travaillent beaucoup physiquement, mais n’ont pas accès au processus décisionnel et peinent à s’organiser.
Développement international
Desjardins a créé des coopératives féminines de microcrédit. Il s’agit de petites cellules de 5 ou 6 femmes qui mettent en marché des produits d’artisanat, alimentaires et autres. Elles font un premier prêt solidaire minime. Selon ce qu’elles vendent, elles s’engagent chaque semaine à remettre une partie du prêt jusqu’au remboursement total du montant. Si l’une rapporte moins une semaine, les autres comblent le manque à gagner. Lorsqu’elles ont remboursé la totalité, elles peuvent à nouveau contracter un prêt, au double du montant initial.
Graduellement, elles se bâtissent un capital qui assure la création de nouveaux produits. Plus fortunées, ces femmes permettent ainsi à leurs enfants de fréquenter l’école, ce qui les assure d’un avenir meilleur. J’ai été impressionnée par le courage de ces femmes rencontrées dans la jungle, sous la tente. Ensemble, dans leur coin de pays, elles démarrent la roue conduisant à une prise en charge individuelle et collective. C’est impressionnant et stimulant !»
«En 2009, une autre mission, avec Socodevi cette fois, m’a conduite au Sénégal. Nous avons rencontré, à Thiès, les dirigeants et les membres d’une coopérative agricole. Encore là, les femmes n’ont que peu d’espace quand il s’agit d’intervenir dans les décisions. Le lopin de terre cultivé appartient à l’époux, souvent légué par leur propre père au mari. Les femmes ne possèdent que rarement un bien à leur nom. Le directeur général de cette coopérative agricole, subventionné par l’État, gérait celle-ci comme sa propre entreprise. Peu soucieux des règles démocratiques de ce gestionnaire, le conseil d’administration ne jouait pas son rôle. Je fus invitée à témoigner sur la place des femmes dans la société au Canada et sur mon rôle à la Coopérative fédérée. J’ai expliqué pourquoi j’avais accepté ce poste et comment j’avais réussi à me faire une place au milieu de ces hommes; comment aussi je pouvais exprimer mon opinion et orienter certaines décisions à la satisfaction du groupe. Emportée par mon élan, je transposai avec cœur mes convictions, mentionnant à la fin de ma diatribe que chaque leader avait la responsabilité de favoriser et d’encourager la présence des femmes au sein des organisations. Cela m’a réconfortée d’apprendre, quelques années plus tard, que mon propos avait ébranlé le président et ouvert un chemin dans son esprit permettant d’améliorer la situation des femmes au sein de la coopérative par une plus grande participation de celles-ci au processus décisionnel.»
Résonances
Francine Ferland éprouve une profonde gratitude pour tout ce qu’elle a récolté au fil de ses pérégrinations. «J’ai tellement appris à préparer différents dossiers, à siéger avec mes collègues, à participer à des activités, à échanger au fil des rencontres, à entendre des conférences, à lire, à suivre l’actualité d’ici et d’ailleurs. C’est incroyable la chance que j’ai eue de participer à tout cela!
L’Année internationale des coopératives s’est avérée une vitrine extraordinaire pour comprendre les défis et les enjeux planétaires, pour faire connaître et questionner le modèle coopératif. J’ai participé à plusieurs forums régionaux à la grandeur du Québec et qui ont conduit au Forum provincial, le 8 octobre dernier.
Le positionnement coopératif auprès des différents acteurs de la société était nécessaire pour que cette formule soit considérée à sa juste valeur pour une économie diversifiée sur l’ensemble du territoire. La revitalisation de nos communautés, la relève d’entreprise, des services de proximité ainsi que de multiples besoins peuvent trouver réponse par la prise en charge des milieux et la volonté des décideurs. C’est ce qui a été démontré lors de ces forums.
Puis ce premier Sommet international des coopératives, tenu du 8 au 11 octobre, devient un véritable lieu de partage et d’avancement. Plus de 90 pays y sont présents, attirant sous sa coupole quelque 2 800 congressistes en provenance des 300 plus grandes coopératives au monde ainsi que des centaines de leaders d’aujourd’hui et de demain qui ont à coeur d’affirmer et l’influence du mouvement coopératif dans la recherche de solutions durables à la crise mondiale. Quel privilège d’y assister et d’entendre ces sommités internationales!
Et dire que ce sont les occasions, le hasard qui ont conduit mes pas. J’ai rarement sollicité des mandats. Ils sont venus à moi, au fil des événements, par réseautage. Je n’avais pas d’ambition particulière, mais j’ai saisi les possibilités qui se sont présentées. Et j’insiste sur le fait que toutes les femmes ont bien plus de potentiel que ce qu’elles prétendent…», devait conclure Francine au terme de notre échange.