Rivière George Le caribou migrateur en danger

Guillaume Rosier, Le Trait D’union Du Nord, Fermont

Les Innus nommaient cet endroit le « Mushuau-nipi », le Pays de terre sans arbre. Aujourd’hui, les abords de la rivière George risquent de devenir le Pays de terre sans caribou. Depuis près d’une vingtaine d’années, la population de ce cervidé est en chute libre. Si de nombreux experts se préoccupent de cet inquiétant phénomène, ce sont avant tout les Innus qui craignent de voir disparaître un élément central de leur culture.

Près de 800 000 il y a 20 ans, 385 000 en 2001, encore 74 000 en 2010 : sur les pourtours de la rivière George, la population du caribou ne cesse de diminuer. Aujourd’hui, la harde ne compte plus que 27 000 individus. Communiqués récemment par le Ministère des ressources naturelles et de la faune, ces chiffres alarmants démontrent l’urgence d’agir.

 

Comment expliquer une telle régression ?

Les populations de caribous migrateurs sont connues pour être cycliques, affichant naturellement des hauts et des bas dans les effectifs d’un troupeau. Ainsi, il y avait très peu de caribous migrateurs au Québec-Labrador entre 1900 et 1950, puis le nombre de caribous s’est mis à augmenter rapidement jusqu’à constituer le plus grand troupeau au monde vers la fin des années 1980.

Cependant, plusieurs facteurs affectent aujourd’hui le potentiel de rétablissement de l’espèce. Serge Couturier, biologiste de la faune arctique et spécialiste de l’étude des caribous, reste sceptique quant à la survie du troupeau : « À Fermont, au début des années 90, on pouvait encore observer de nombreux caribous. Bien que le cycle soit historiquement surtout d’ordre naturel, l’accroissement de l’empreinte humaine sur leur habitat a modifié la donne. Quand la harde de la rivière George se sent menacée, elle se réfugie sur les plateaux. Malheureusement ces lieux connaissent une activité humaine importante. »

Aujourd’hui l’important développement que connaît le Nord-du-Québec, combiné avec une capacité de chasse commerciale, sportive et autochtone beaucoup plus forte que dans le passé, affectent de façon déterminante le rétablissement de l’espèce. Le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador ont d’ailleurs récemment interdit la chasse sportive et commerciale du troupeau de la Rivière George. Pour le moment, seuls les résidents et les communautés autochtones peuvent chasser le caribou migrateur, pour leur subsistance.

Pour Serge Ashini Goupil, chasseur innu et conseiller en développement durable, aucun garde-fou n’avait été mis en place par le passé pour éviter une baisse significative de la harde. « La fragilité du caribou n’a pas été prise en compte, explique-t-il. Comme il y en avait beaucoup, on continuait de les chasser. » Steeve Côté, professeur au Département de biologie de l’Université de Laval, avance d’autres pistes. Selon lui, la réduction de taille de la harde pourrait s’expliquer par une hausse rapide du nombre de prédateurs et par la surutilisation des ressources alimentaires.

 

De meilleures connaissances pour enrayer le déclin

Le caribou migrateur constitue un élément central de l’écologie des milieux nordiques et est au cœur de la culture et de l’économie de cette région. Les variations d’effectifs des populations de caribou pourraient avoir des répercussions néfastes, notamment pour les populations autochtones comme les Innus. Le mois d’août dernier, les Amis du Mushuau-nipi ont organisé le 8e Séminaire nordique autochtone. Le thème : « Un caribou en situation précaire, comment rallier conservation et savoir autochtone ? » Des Innus de partout du Québec et au Labrador, des scientifiques québécois, des représentants de groupes environnementaux ainsi que des membres de la société civile étaient invités à se prononcer sur le sujet.

 Un constat s’est dégagé de ce séminaire : la survie du caribou migrateur est intimement liée à la vitalité de la culture traditionnelle Innue. En effet, cet animal est au coeur des traditions, de la vie spirituelle, de la connaissance et du mode de vie ancestral et actuel des Innus du Québec et du Labrador. Le chasseur innu Serge Ashini Goupil confirme : « Si notre peuple existe encore aujourd’hui, c’est principalement grâce aux caribous. Notre lien avec cet animal est extrêmement fort. Nous ne pouvons imaginer une seule seconde qu’il disparaisse. » Il ajoute : « Les décisions qui devront être prises rapidement nécessiteront un leadership particulier des Premières Nations sur ce dossier, sous l’angle de la responsabilité culturelle pour l’intendance du territoire et des espèces qui y habitent. » Pour responsabiliser la population, les Amis de Mushuau-nipi préparent présentement une tournée d’information dans les communautés innues de la Côte-Nord.

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