La maison du pêcheur : hymne à la jeunesse

Jean-François Aubé, Graffici, Gaspésie

Au cours des six dernières semaines, les résidents, les visiteurs ou encore les quelque 350 figurants sélectionnés dans la région ont pu apprécier le spectaculaire déploiement de la machine cinématographique dans le cadre du tournage du long métrage La maison du pêcheur, du groupe PVP, à Percé.

Il est à peine 8 h 30 que déjà, une surprenante marée de techniciens et d’employés inonde le plateau extérieur, parmi une multitude d’équipements spécialisés dont le chrome scintille au soleil, comme cette longue traînée de rails qui annonce un mouvement de caméra ambitieux. Au milieu de cet apparent chaos, entouré de réflecteurs, Pierre-André Bujold se tient debout, immobile, à un mètre de la caméra, pour l’ajustement du cadrage final. « J’ai suivi le projet depuis le début et j’ai toujours signifié mon ardent désir de jouer dans le film, explique ce comédien gaspésien bien connu dans la Baie-des-Chaleurs. J’ai été un peu surpris quand ils m’ont convoqué la première fois. J’auditionnais pour un rôle de ministre ! Et on me l’a donné ! »

Bien qu’il s’agisse d’une brève apparition, Pierre-André Bujold est ravi de participer à ce tournage, dont l’ampleur impressionne. « La quantité de labeur qu’il faut pour créer seulement deux minutes à l’écran, c’est époustouflant », lance-t-il. Le plateau, d’une efficacité redoutable, enchaîne les scènes les unes après les autres, digérant les obstacles et les imprévus au fur et à mesure qu’ils se présentent. La fascination que procure un travail d’équipe rapide et rodé pétille aussi dans les yeux des figurants, bien placés pour goûter le spectacle. « Il y a beaucoup de monde, mais chaque personne fait ce qu’elle a à faire, et malgré tout, ça va vite ! », s’exclame Marianne Dorais qui, à la fin de sa journée de figuration, devra fournir certains efforts pour rendre son costume de hippie et réintégrer son statut d’étudiante au Cégep de la Gaspésie et des Îles.

Mais quelle est cette entreprise qui nécessite tant d’énergie ? Quel est ce rêve dont la réalisation mobilise 70 techniciens et 4,3 millions de dollars? Par-delà le plaisir manifeste de tourner de la fiction, il y a cette urgence, portée par le réalisateur Alain Chartrand, de colmater un trou dans notre mémoire collective à propos des événements de 1970. « On a eu un film sur la crise elle-même, Octobre de Pierre Falardeau, et un film sur l’après, Les ordres de Michel Brault. Nous, on parle de l’avant, de la genèse », précise le cinéaste. Le long métrage raconte l’été 1969 à Percé, alors que les frères Paul et Jacques Rose s’établissent à La maison du pêcheur dans le but d’éduquer les jeunes Québécois à la vie sociale et politique. « Il ne s’agit pas de prendre position, mais bien de remettre les choses en perspective, d’éclairer les actions politiques avec la trajectoire personnelle de certains protagonistes », ajoute M. Chartrand.

« Mais avant tout, il s’agit de parler de la jeunesse », insiste-t-il. Si certains films d’ados ne présentent que la sexualité débridée et les élans hormonaux des jeunes, La maison du pêcheur rend hommage à une autre sève, tout aussi précieuse, qui coule à flots à cet âge : l’idéalisme. Le long métrage nous rappelle qu’il en a toujours été ainsi, que l’avant-garde politique est souvent affaire de vingtaine, et que de s’étonner de l’engagement des jeunes, comme l’ont fait de nombreux Québécois à propos du soulèvement étudiant du printemps dernier, est un signe inquiétant de cynisme et d’oubli. Alain Chartrand n’hésite pas à faire le rapprochement entre la loi 12 (le projet de loi 78) et les interdits auxquels faisaient face Paul Rose et ses acolytes en 1969.

Si le plateau de La maison du pêcheur roule aussi rondement, c’est sans doute parcequ’il est dirigé par des producteurs, un réalisateuret un directeur photo de grande expérience.Il est d’ailleurs émouvant d’observer ce rassemblement de cheveux gris derrière la caméra, occupé à capter les gestes et paroles de jeunes gens naïfs et rêveurs avec un soin et une ardeur elle-même juvénile, dans un geste artistique qui, dépassant la simple nostalgie du passé, vise à rendre hommage à cet espoir universel : la jeunesse.

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