Curieux et bon

François Tousignant, District 9, Saint-Lambert

Si vous empruntez la piste cyclable qui mène au fleuve, au bout du boulevard Simard, vous allez partager avec moi ce plaisir du parc qu’on y trouve. Ô c’est un parc linéaire, avec le cul des motels et de la route 132. C’est pourtant bien plus. On y pique-nique avec joie, en regardant plein, mais pas trop, de passants y passer. Certains s’amusent à pêcher pour taquiner la perchaude (oui, on peut maintenant la manger quand on la cueille dans la Voie maritime), mais se retrouvent souvent bredouilles avec des crapets-soleil. Il y reste la qualité de l’espace.

Qu’on le veuille ou non, c’est d’ici qu’on a la plus belle vue sur Montréal (ce que les Montréalais ignorent). Ce petit parc, si anodin, possède mille vertus. D’abord, il permet de se calmer, ensuite de s’émerveiller; denrées rares en ce monde si tourné vers le banal et le vulgaire. Le soleil miroite sur l’eau du bassin et certains crépuscules y sont à rivaliser avec les plus beaux Monet.

Et puis, il y a le vent qui caresse l’eau, parfois doucement, d’autre fois plus violemment. Alors, au bruissement des feuilles et des roseaux se mêle le clapotis des vaguelettes et s’ajoute au coup d’oeil le ballet des « moutons » comme le disait ma grand-mère. Parfois, un cargo passe majestueusement. L’étrange lenteur de ce spectacle ralentit la respiration, un peu à la manière du yoga. Comme si on entrait dans une autre sphère du Temps. En contrepartie, c’est parfois le cirque bruyant des moteurs hors-bord et des skieurs nautiques. Rien n’est parfait…

Néanmoins, si on s’arrête un peu en déposant sa bicyclette, ne serait-ce que le temps d’une gorgée d’eau, l’environnement se met à opérer ses transformations apaisantes. Sans trop en savoir ni le pourquoi ni le comment (proximité de l’eau ?, bien-être que procure la verdure?, sensation de sortir du quotidien ?), l’âme reprend son souffle. Quelle expérience rare! Trop rare pour qu’on la néglige ou qu’on y soit indifférent.

Puis, malheureusement, il faut bien rentrer. Après le repos — ou cette petite trêve dans le quotidien, voire une brèche bienvenue —, la vie plus ordinaire reprend ses droits. Ce n’est pas très grave : on a tous une mémoire et avec à peine un peu d’effort, on se retrouve aisément, en imagination, dans cette atmosphère, même en épluchant des carottes ou des patates. C’est dire.

La promenade, c’est bien pour nourrir un peu le rêve. Et quand on retourne physiquement ou mentalement dans ce lieu, cette déambulation prend tout son prix. Il y a nos confessions au fleuve, celles des autres aussi, qui murmurent discrètement. Des joies, des peines, des désirs inassouvis, des plaisirs qu’on a oubliés de partager comme ceux plus solitaires qui nous donnent envie de les partager.

Même quand on se balade à deux, il se trouve toujours un moment d’introspection et de découverte qui nous est personnel. C’est la curieuse magie des lieux publics : il est toujours loisible d’y être tant en société qu’anonyme. D’y discuter comme d’y réfléchir. Quel meilleur endroit à apprivoiser pour s’entourer d’une bulle si propice à tout cela !

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