Soraya Elbekkali, L’Itinéraire, Montréal
Au Québec, une personne sur six estime qu’elle pourrait, un jour, se retrouver à la rue. «Je trouve les cinq autres pas mal au-dessus de leurs affaires», blague l’humoriste Christian Vanasse, porte-parole de la 23e Nuit des sans-abri.
Vingt-trois éditions (déjà!), comme autant d’occasions de venir à la rencontre de l’autre et de se rappeler les conséquences de la pauvreté, de la désaffiliation sociale et de l’itinérance qui touchent 30 000 personnes au Québec, dont 20 000 vivant à Montréal.
Christian Vanasse, porte-parole pour une troisième édition, s’insurge du peu d’attention que retient l’itinérance. «Dans la campagne électorale, il y a un politicien et demi qui a parlé de la pauvreté. Les politiques actuelles défavorisent les pauvres, les ostracisent et encouragent la violence à leur égard. Tant que ça ne changera pas, je resterai toujours aussi en tabarnac!», explique-t-il, d’un ton enflammé, au téléphone.
Sa sensibilité à cette cause remonte à bien plus loin que sa participation à la Nuit des sans-abri. À 16 ans, il travaillait comme portier à L’Évêché de Saint-Hyacinthe. Pendant que les prêtres se régalaient d’un repas trois services, les pauvres et les itinérants du coin étaient invités à rester dans le vestibule où ils pouvaient réchauffer et recevoir un petit sac de nourriture. C’est à cette époque que naît la révolte chez Christian Vanasse. Plustard, il sera travailleur de rue auprès de jeunes en maison de transition. Son parcours l’amènera finalement à être celui que l’on connaît aujourd’hui, comédien et membre des Zapartistes, mais jamais il n’oubliera ces gens qu’il a côtoyés.
UNE FORMULE RENOUVELÉE
Le thème central de cette édition de la Nuit des sans-abri est l’accès aux services pour les personnes itinérantes. Le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM) s’inquiète de la surtarification des services publics qui affecterait particulièrement les personnes à faible revenu. Pour Bernard St-Jacques, organisateur communautaire du RAPSIM, le manque d’harmonisation entre les différents services (soins de santé physique et mentale, réinsertion socioprofessionnelle, aide sociale, etc.) handicape les personnes en situation d’itinérance qui font face à de multiples problématiques.
Autre nouveauté au programme de cette édition montréalaise, la Nuit sera itinérante. Les participants se rendront dans deux lieux emblématiques du centre-ville où se vit l’itinérance pour ensuite se rassembler pour la vigile nocturne de solidarité jusqu’aux petites heures du matin. Musique, cirque, ateliers et performances participatives seront au programme sur les différents lieux du parcours. La nuit se terminera dans le stationnement du Comité social Centre-Sud où la population est invitée à se rassembler autour d’un brasero, un appareil de chauffage qu’on appelle aussi brasier. «Il [le brasero] représente la façon de lutter contre la pauvreté, la solitude, le froid et le mal à l’âme quand on est dans la rue. Autour du brasero, on peut se réchauffer, se réunir, chanter ensemble et lutter contre le destin, comme une lumière qui brille malgré le froid», peut-on lire sur le site internet de l’événement. Dans quelques-unes des 25 villes qui organisent l’événement, un déjeuner des braves sera servi le lendemain matin.
La Nuit des sans-abri n’est pas une collecte de fonds ou campagne de financement, précise le RAPSIM. Il s’agit d’une occasion pour des gens de tous les horizons de se rassembler, de regarder en face le problème grandissant de la pauvreté et surtout «de mettre un peu plus d’humanité dans notre regard», espère le sympathique porte-parole. Parce que si la faim et le froid peuvent se supporter, l’indifférence, elle, est épouvantable pour les gens de la rue. Comme aime à le rappeler Christian Vanasse, cette personne dans la rue «c’est ton frère, c’est ta sœur, ta mère ou ton père…». Alors amenez sac de couchage, lampe de poche, vêtements chauds et venez-vous joindre à cet événement de solidarité et de dénonciation.