Usine de crevette : des Mexicains en renfort

Geneviève Gélinas, Graffici, Gaspésie

Quatre travailleurs mexicains prêtent main-forte à l’usine Crevette du Nord Atlantique de L’Anse-au-Griffon cette saison. Il s’agit d’une première au Québec dans le domaine des pêches. Et d’autres usines songent à avoir recours aux travailleurs étrangers pour combler le manque de main-d’oeuvre.

Chez Crevette du Nord, la salle de repos est décorée de cartons vert-blanc rouge, les couleurs du Mexique. Des mots du langage courant, comme les jours et les chiffres, y sont inscrits en français et en espagnol. Bottes de caoutchouc aux pieds, les deux « Omar » – Omar Vega Ayala et Omar Heredia Lopez – font leur entrée pour la pause du midi. Quelle langue parlent-ils avec les autres travailleurs? « Un mélange de français, d’anglais, d’espagnol et… de signes », répond M. Ayala en faisant de grands gestes pour illustrer son propos.

Au Mexique, M. Ayala occupait déjà un emploi d’agent de service téléphonique à la clientèle. Pourquoi venir travailler au Québec? Son poste chez Crevette du Nord lui rapporte quatre fois plus, dit-il.

Les propriétaires de l’usine y trouvent leur compte. « On manquait de main-d’oeuvre, surtout pour le nettoyage [les postes occupés par les Mexicains], affirme Gaétan Denis, président de Crevette du Nord. Ce sont des heures coupées et tu travailles sept jours sur sept. Souvent, on nous dit que ça ne marche pas avec les horaires de garderie. Mais c’est payant, parce que tu fais beaucoup d’heures. »

Il a fallu sept mois de démarches à M. Denis avant de serrer la main des Mexicains. L’usine devait démontrer qu’elle avait tenté de dénicher des Québécois. Crevette du Nord a donc affiché ses postes sur le site Web d’Emploi-Québec, sans succès. M. Denis a obtenu une lettre d’Emploi-Québec qui certifie cet échec, puis il a fait affaire avec Immigration Canada et Immigration Québec pour les permis de travail. Une agence mexicaine s’est chargée du recrutement des travailleurs. Les « deux Omar » me conduisent à la maisonnette où ils habitent, sur le chemin qui longe la rivière de L’Anse-au-Griffon. Mon arrivée tire du lit leurs deux collègues dont le quart de travail s’est terminé à trois heures du matin. Au moins, les nouveaux venus n’ont pas eu à se casser la tête avec le gîte et le couvert. « M. Gaétan avait tout organisé pour nous : il a loué la maison, trouvé une voiture et nous a montré où s’acheter de la nourriture », énumère M. Ayala. « Ils sont payés le même salaire que les Québécois, mais ils paient pour ça [maison, connexion Internet et autres dépenses], précise M. Denis. S’ils ont un accident de travail, la CSST embarque. Pour un accident d’auto, ce serait la Société de l’assurance automobile », ajoute-t-il.

Selon Bruno Ste-Croix, contremaître chez Crevette du Nord, les relations Gaspésiens- Mexicains sont harmonieuses dans l’usine. Mais il ne cache pas que des craintes ont précédé l’arrivée des travailleurs étrangers.

« Certains employés ont dit qu’ils avaient peur pour leur emploi, rapporte M. Ste-Croix, mais ça s’est tassé dans la semaine où les Mexicains sont arrivés. » Bien des Gaspésiens se contentent de « faire leurs 14 semaines, affirme le contremaître. Je pense qu’ils devraient “allumer” s’ils tiennent à travailler », ajoute-t-il.

D’autres usines de pêche pourraient embaucher des travailleurs étrangers temporaires dans un proche avenir. Chez E.Gagnon et Fils à Sainte-Thérèse-de-Gaspé, on y songe parce que le manque de main d’œuvre limite la transformation du crabe au printemps. La même réflexion est en cours aux Fumoirs Gaspé Cured de Cap-d’Espoir. « On se prépare peut-être à aller vers là [les travailleurs étrangers], pas pour 2013 mais pour 2014, commente le président, Roch Lelièvre. On a besoin d’une main-d’œuvre stable, mais beaucoup de Gaspésiens s’en vont travailler dans le Nord, tandis que nos entreprises se développent. »

Omar Vega Ayala communique tous les jours via Skype avec sa femme et son fils de deux ans et demi. À la fin de septembre, lui et ses collègues retrouveront leurs familles en chair et en os. Mais ils pourraient refaire le voyage l’an prochain : Gaétan Denis juge l’expérience concluante et souhaite recommencer.

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