Inch’Allah. De passion et de résistance

Marie-Lise Rousseau, L’Itinéraire, Montréal

On peut sortir la fille de la Palestine, mais on ne peut pas sortir la Palestine de la fille. Anaïs Barbeau-Lavalette y est allée une première fois à 22 ans, pour le tournage du documentaire Si j’avais un chapeau.

Dix ans plus tard, elle y situe l’action de son plus récent long métrage, Inch’Allah, qui est aussi son film le plus personnel à ce jour. Il prend l’affiche le 28 septembre.

Plus la cinéaste de 33 ans découvre la Palestine, plus elle est fascinée par ce bout de pays qui aspire à être une vraie nation. Elle y a séjourné quelques mois pour des études à l’Université de Birzeit, puis y est retournée à diverses reprises pour des tournages. «C’est fou. J’y suis allée souvent, et plus j’y retourne, moins je comprends (rires), dans le sens où ça attire toujours mon désir de comprendre. C’est tellement complexe et vaste comme problématique», dit Anaïs Barbeau-Lavalette, rencontrée dans un café de Villeray.

Comme la cinéaste dans la vraie vie, Chloé, le personnage principal d’Inch’Allah, perd ses repères dans cette région bouillonnante du monde. Il s’agit d’une jeune obstétricienne québécoise, interprétée par Evelyne Brochu, qui accompagne les femmes enceintes d’un camp de réfugiés palestiniens dans une clinique en Cisjordanie. Elle se lie d’amitié avec Rand, une patiente de la clinique, ainsi qu’avec sa voisine de palier, Ava, une jeune militaire israélienne. Devant les événements et les drames auxquels elle assiste de chaque côté des checkpoints (postes de contrôle présents à la frontière séparant Israël de la Palestine), Chloé se sent impuissante et en vient à se sentir elle–même comme un champ de bataille.

 

CINÉASTE DE LA RÉSISTANCE

Qu’est-ce qui fascine tant Anaïs Barbeau-Lavalette chez les Palestiniens? Leur résistance. Elle le précise en entrevue : «Ce n’est pas tant une sensibilité à la misère qu’une sensibilité à la résistance de personnages qui, malgré leurs maux, ont encore une énergie de vivre qui est pour moi super inspirante.»

Depuis ses débuts comme cinéaste, la résistance nourrit ses films, et ce, de la Palestine à Hochelaga-Maisonneuve, où se situe l’histoire du film Le Ring, son premier long métrage de fiction. «Même s’ils ont les deux pieds dans la misère, mes personnages ont quelque chose de fighter, dit-elle. Aucun destin n’est inévitable.»

Avec Inch’Allah, la fille de la cinéaste Manon Barbeau (fondatrice du Wapikoni mobile) et du directeur photo Philippe Lavalette avait envie de rapprocher des luttes qui, a priori, semblent loin de nous, «mais qui humainement, nous ravageraient tout autant si elles se passaient tout près de nous».

Si elle ose aborder de front la Palestine, c’est parce qu’elle la connaît. «Si je n’y avais pas côtoyé des gens, si ça ne m’était pas rentré dedans d’une façon ou d’une autre, je ne sais pas si je me serais donné la permission d’y situer mon histoire.» Sans être une autofiction, plusieurs scènes d’Inch’Allah sont fortement inspirées des séjours d’Anaïs en Palestine. Comme ce moment bouleversant où un enfant palestinien se fait renverser par une jeep de l’armée israélienne, sous ses yeux. La cinéaste a réellement assisté à cette scène troublante. Elle la relate d’ailleurs dans son recueil de chroniques palestiniennes Embrasser Yasser Arafat. À un autre niveau, Anaïs Barbeau-Lavalette admet qu’il y a un peu d’elle dans Chloé. Tout comme son personnage, la réalisatrice s’est sentie comme si elle faisait partie de cette guerre entre la Palestine et Israël, malgré son statut d’étrangère.

 

UN PONT ENTRE LES CULTURES

Autant avec Inch’Allah qu’avec ses autres films, Anaïs Barbeau-Lavalette éprouve le besoin d’apporter sa pierre à l’édifice de la société, de changer le monde à sa façon, avec sa plume et sa caméra. Son expérience de cinéaste-documentariste a attisé son goût de l’authenticité, qu’elle tient à préserver dans ses films de fiction. «J’ai le goût que ce soit brut, pas que je n’aime pas les films plus esthétiques, mais ce n’est pas ce que j’aime faire. J’aime raconter des histoires de la façon la plus réaliste possible». C’est pourquoi tous les enfants qui jouent dans Inch’Allah viennent de camps de réfugiés.

Qu’est-ce qui met en colère la cinéaste au sourire doux et à la bedaine ronde? La peur à l’origine de la méfiance entre les gens. «D’un côté comme de l’autre, en Israël comme en Palestine, la volonté de dialoguer est présente, mais les gouvernements mettent des bâtons dans les roues de leurs peuples en créant des barrières physiques et psychologiques. Comment penser à la paix s’il est impossible de se croiser en dehors d’un checkpoint?», s’indignet-elle. Des situations semblables près de chez nous la dérangent tout autant. «Je pense aux Amérindiens et ça me choque profondément. Une chance qu’il y a des projets comme le Wapikoni mobile pour rapprocher les gens.»

Avec son cinéma, la globe-trotter crée des lieux de rencontres, des ponts entre les cultures et les gens, et contribue ainsi à ouvrir les esprits. Inch’Allah, une expression arabe qui veut dire Si Dieu le veut, devient dans ce film une parole teintée d’espoir, qui va au-delà de la connotation religieuse. «Le film est dur, mais le titre évoque quelque chose d’encore possible.»

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