Dyane Adam : Le repos de la guerrière

Pierre Pruneau, Autour de L’île, île d’Orléans

On ne peut deviner à quel point cette femme délicate à la voix douce et au sourire facile peut s’avérer un redoutable adversaire quand il s’agit de défendre les droits des femmes et des francophones partout où ils sont menacés au Canada. Cette Franco-Ontarienne a su mener de front une carrière de psychologue, d’universitaire de haut vol tout en s’impliquant dans des luttes épiques pour le respect des droits des minorités francophones au pays.

Des causes qui sont passées à l’Histoire ? La lutte pour conserver le bilinguisme des services à l’hôpital Montfort, à Ottawa, la querelle des gens de l’air contre Air-Canadaqui voulait bannir l’usage du français chez les contrôleurs aériens au pays, l’établissement d’un plan d’action pourles langues officielles sans oublier la cause des femmes se retrouvant démunies face à leur isolement. Elle fonde, entre autres, le Collectif des femmes francophones du Nord-Est ontarien et le Réseau de développement des groupes d’entraide de Sudbury-Manitoulin. Son travail incessant a attiré l’attention en haut lieu : en 1999, elle fut appelée par le premier ministre du Canada, M. Jean Chrétien, au poste de Commissaire aux langues officielles du Canada. Elle se retire de la vie publique en 2006, couverte d’honneurs et récipiendaire de l’Ordre du Canada en juin dernier.Mme Adam insiste pour partager cet honneur avec tous les gens de vision avec lesquels elle a eu le plaisir de travailler durant sa carrière.

 

UN POINT D’ANCRAGE QUI RAMÈNE À L’ESSENTIEL

Mme Adam et son compagnon, le docteur Jacques Carrière, ont acquis il y a plus de 20 ans la maison Imbeau, située à Saint-François. Cette belle ancestrale érigée en 1755 sur un site exceptionnel où le panorama nous dévoile montagne et fleuve était la propriété de Madeleine et Henri Guimont qui l’avaient restaurée et meublée avec un respect de l’authenticité qui a fait école auprès des spécialistes de la restauration au Québec. Mme Adam me souligne toute l’émotion qu’elle a ressentie chez les Guimont quand ils leur ont transmis leur maison en y laissant une grande part de leur âme. Cette demeure est devenue pour eux un refuge, un point d’ancrage qui les ramène à l’essentiel. Ils y vivent un retour à la terre dans une paix qui leur permet de se recentrer. Ils apprécient la simplicité des gens qu’ils côtoient et la chaleur des rapports humains. Pour eux, l’île d’Orléans est un bastion de la culture française dans un cadre naturel et historique exceptionnel.

En plus de faire l’acquisition occasionnelle d’objets anciens de la vie quotidienne pour compléter l’ameublement de la maison, Mme Adam sort tous les jours pour une promenade d’une heure en compagnie de son chien tout en demeurant à l’affût de la faune environnante. Elle consacre ses loisirs à la lecture, à la réalisation de documentaires parfois teintés d’humour sur les membres de sa famille et à la conception de platebandes et jardins. Il faut dire qu’avec la profusion de fleurs autour des bâtiments et la variété des légumes qui remplissent le grand potager, il y a du travail tous les jours, en saison. Les deux complices collaborent à toutes les étapes du processus allant des semis de printemps à la mise en conserve de certains légumes à l’automne. Une petite pause pour ramasser les œufs de ses huit pondeuses et c’est reparti… Il faut aussi faire son bois pour alimenter les trois poêles de la maison, sortir en raquettes pour la promenade journalière vers le vieux quai en hiver et s’initier depuis peu à la chasse au chevreuil. Quelques amis à recevoir dans la maisonnette en pièce sur pièce qu’ils ont rénovée, un pont de bois à installer pour enjamber la rivière et un laborieux travail de consolidation des berges pour éviter l’érosion vous montrent que l’entretien d’un tel domaine n’aura jamais de fin.

 

LA SITUATION DU FRANÇAIS AUJOURD’HUI

Abordant son sujet de prédilection, Mme Adam concède que la situation du français relève d’une dynamique fragile, mais non désespérée. Elle déclare que plus de gens parlent cette langue hors Québec que jamais. Les jeunes anglophones l’apprennent à l’école et il existe plus de services en français que du temps de sa jeunesse. Elle insiste sur la nécessité pour les minorités francophones d’utiliser ces services et de revendiquer le respect de leurs droits en cas d’abus. Elle concède que l’environnement de notre société moderne pousse les gens à adopter l’anglais comme langue de travail et de communication même au Québec. Cette province est de plus en plus multiethnique, car l’immigration y est importante. Quant à la qualité de la langue française parlée chez nous, elle souligne qu’il faut noter une mutation et de profondes transformations dans son usage actuel et cela, partout dans le monde. Ceci est symptomatique de l’évolution normale d’une langue vivante. Les changements technologiques menacent sa survie, mais les Québécois doivent faire preuve de vigilance pour la préserver malgré les obstacles. Son rôle de Commissaire aux langues officielles consistait justement à maintenir l’équilibre égalitaire des deux cultures qui se sont associées dans le pacte fédératif de 1867.

Mme Adam a eu une vie professionnelle très remplie. Elle fut au cœur de débats houleux et a croisé le fer avec des personnalités qui ont marqué l’actualité canadienne.

À ce titre, on peut espérer qu’elle décide un jour d’écrire des mémoires qui apporteraient un éclairage intéressant sur des faits qui méritent d’échapper à l’oubli. Si elle parvient à se soustraire un peu à ses multiples occupations et à l’envoûtement de vivre dans un endroit si enchanteur, peut-être trouvera-t-elle du temps pour nous raconter des épisodes de la saga qu’elle a engagée pour la survie de la culture française et l’amélioration de la condition de la femme au Canada.

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