Les enfants Brissette lèvent le voile sur la vie de Marguerite d’Youville

Sylvie Gourde, Le Tour de Ponts, Chaudières-Appalaches

D’année en année, la troupe de théâtre de l’École sur le Monde fascine. C’est peut-être sa manière de porter le message dans la gestuelle et l’expression saisissante du visage, la proximité des grands idéaux, la sincérité dans la démarche, la capacité malgré de lourdes déficiences chez ses ados de transfigurer l’essentiel, de décanter les moments forts de la vie de personnages plus grands que nature. C’est sans doute tout ça à la fois et davantage! Assurément, les enfants Brissette impressionnent et provoquent, autant dans la vie que sur scène, une gamme d’émotions soudaines. Émerveillement, éclat de rire, compassion, foi, abandon… Impossible de demeurer impassible. On y perçoit à travers la fragilité de la vie cette incommensurable résilience qui fait éclater toute résistance.

 

Les enfants d’amour

Aux limites des municipalités de Saint-Gervais et de Saint- Anselme, dans le rang de la Montagne, la marginale Louise Brissette a fait bâtir une dizaine de pavillons pour ses enfants mal emballés. Depuis 1985, elle a adopté 36 enfants, tous atteints d’handicaps physiques et/ou intellectuels. Ces frêles oisillons, elle les a gavés d’amour et poussés hors du nid de la passivité. Pour eux, elle a créé la fondation Les enfants d’amour. L’Œuvre, au service du bonheur, multiplie les efforts afin que non seulement les enfants ne manquent de rien, mais qu’ils deviennent des êtres chaque jour plus heureux, plus autonomes, capables de fournir leur apport à la société.

L’Œuvre est plus qu’un lieu d’accueil, c’est une famille. Une famille véritable où se déploie toute la sécurité affective et psychologique qui permet d’apprendre et de s’épanouir.

 

Une Œuvre sans frontières

 À la maison Brissette de Saint-Anselme, aucune distinction de race ou de lieu d’origine n’est remarquée. Si bien, qu’on y retrouve des enfants du Québec, de l’Ontario, du Liban, de la Russie, d’Haïti.

Avec ce même souci d’ouverture, Louise Brissette a mis sur pied la Petite École qui s’est agrandie pour devenir L’école sur le monde. On offre aux jeunes, à la mesure de leur capacité, divers apprentissages tels que les arts, l’informatique, les travaux manuels, le théâtre…

Afin de multiplier la solidarité qui se vit au quotidien, l’Œuvre tient chaque année, depuis 1995, un Congrès du OUI À LA VIE! On y vient de partout à travers le monde pour emprunter les sentiers qui nous ramènent inexorablement à l’essentiel, à notre cœur!

Cette année, on a amalgamé la programmation en une seule journée et inscrit, au beau mitan de ce 25 juin 2012, une rencontre avec sainte Marguerite d’Youville. Avec pour seule publicité que le bouche-à-oreille, la troupe a fait salle comble.

 

Marguerite d’Youville

Marguerite d’Youville naît à Varennes (Québec) le 15 octobre 1701. Elle sera suivie de deux sœurs et trois frères avant de se retrouver orpheline de père à l’âge de 7 ans. Sa famille connaît dès lors une très grande pauvreté. Grâce à l’influence de son arrière-grand-père, Pierre Boucher, sieur de Boucherville, Marguerite bénéficie de deux années d’études chez les Ursulines de Québec. Bien que ses éducatrices décèlent chez elle un caractère bien trempé et une solide maturité, Marguerite retourne au foyer afin de seconder sa mère. En 1722, elle épouse François d’Youville. Très tôt, elle souffre des fréquentes absences de son mari et de son commerce de l’alcool avec les Indiens. Des six enfants qu’elle met au monde, deux seulement survivront.

À la mort de son époux, en 1730, Marguerite saisit progressivement la sollicitude de Dieu pour tous les humains et se sent pressée de manifester cette compassion autour d’elle. Tout en veillant à l’éducation de ses deux fils qui deviendront prêtres, Marguerite d’Youville accueille d’abord une vieille femme aveugle le 21 novembre 1737. Puis avec trois compagnes qui partagent ses visées, elle se consacre à Dieu, le 31 décembre 1737, pour le servir parmi les plus démunis. Marguerite devient alors, à son insu, la fondatrice de l’Institut connu plus tard sous le nom de Sœurs de la Charité de Montréal.

En se rangeant du côté des pauvres, Marguerite fait éclater les cadres sociaux de son époque. Aussi cette femme audacieuse devient la cible des calomnies des siens et de son milieu. En raison du commerce illicite de son mari, certains détracteurs les surnommeront «Sœurs Grises».

Sa foi est mise à rude épreuve. L’incendie qui détruit son logis l’amène à radicaliser son engagement au service des pauvres. Elle accepte la direction de l’Hôpital des Frères Charon qui tombe en ruine et en fait un refuge pour toutes les misères humaines. En 1765, un incendie ravage l’hôpital, mais non sa foi et son courage. À 64 ans, elle entreprend la reconstruction de ce refuge des gens mal pris. Épuisée, elle décède le 23 décembre 1771.

Le petit grain semé en terre québécoise en 1737 par cette fille de l’Église est devenu un arbre qui étend ses racines sur presque tous les continents, en passant par Saint Anselme même. Pour l’ensemble de son œuvre de compassion, Marguerite d’Youville sera béatifiée le 3 mai 1959 par le page Jean XXIII.

 

Dans le boisé de Saint-Anselme

La pluie fine presse les badauds vers le gymnase où les enfants Brissette, revêtus de leurs costumes de scène, attendent patiemment dans les coulisses le coup d’envoi. Les rideaux s’écartent pour faire place à un décor qui nous plonge dare-dare dans une atmosphère d’époque. Puis, tour à tour, les acteurs défilent, prennent la cadence sur les mots de Véronique qui modulent la vie de Marguerite d’Youville. La musique assure la transition d’une scène à l’autre, avec grâce et harmonie.

Le projet Marguerite d’Youville s’avère un magnifique prétexte pour plonger dans l’insondable cœur humain et les filiations qui l’unissent aux autres et à lui-même. La pièce transpose nos liens affectifs, fraternels, amicaux et sociaux à travers les nombreux impondérables de l’existence.

Éblouie, l’assistance suit les pérégrinations de ces étranges saltimbanques qui tantôt en boitillant, tantôt en fauteuil roulant ou portés par les plus costauds, avancent sans faux pas dans l’histoire. Ils sont sans voix, mais leurs yeux parlent, rient, souffrent, s’indignent, consolent, témoignent. Ils nous émeuvent, nous questionnent, nous font rire et pleurer, suscitent notre admiration.

Cette représentation spéciale offre au public l’occasion de se transporter dans l’univers de personnes atteintes dans leur corps et leur tête. Au fil des ans, la troupe s’est donné le temps et les moyens pour exercer son art, prendre du gallon et se tailler une niche singulière dans le paysage théâtral. Leurs performances déstabilisent, fascinent.

Le travail de création s’est fait en équipe. S’alignent sur scène Christine, Colombe, Delphine, Florence, Gabrielle, Fannie, Hubert, Jean-Simon, Julien, Marie-Andrée, Marilie, Pascal, Sarah et Tania. Des enfants devenus grands, adolescents et jeunes adultes pour la plupart! Autour d’eux s’activent Gérard, Véronique, Fabiola, Déborah, Nathalie, Lina… Et tant et tant d’autres mains se joignent pour peaufiner les décorsmagnifiques, les costumes, le programme, prendre des photos, assurer le transport… Il y eut même les Sœurs Grises de Montréal, tout spécialement, sœur Jacqueline St-Yves, qui ont sorti les précieux habits de leur musée pour habiller Gabrielle, Christine, Delphine, Fannie. Bref, le travail de touteune communauté qui a su nous en mettre plein le cœur!

Espérons que le fameux Congrès des Mongols fiers aura le vent dans les nuages encore plusieurs années durant afin de porter haut et loin tous les êtres d’exception animés de liberté et d’égalité!

classé sous : Non classé