Une patate du peuple ouverte à tous

Deborah Grausem, L’Itinéraire, Montréal

Mercredi, 12 h 15, au 7ème étage du pavillon Henry Hall de l’Université Concordia, quelques personnes attendent en ligne, certaines avec des contenants en plastique à la main. Quinze minutes plus tard, The People’s Potato commence à servir des repas végétaliens à des centaines de personnes, étudiants et non-étudiants confondus.Gratuitement.

Derrière le comptoir, une trentaine de bénévoles coupent, râpent, servent de la nourriture. Une odeur de cari flotte dans l’air, dans la cuisine de la Patate du peuple. L’ambiance est relax, mais tout le monde s’active; il y a toujours un légume ou un fruit à trancher, toujours de la vaisselle dans l’évier, toujours des cuissons à surveiller. Le menu du jour consiste en une salade où fruits et légumes s’entremêlent, un mijoté de quinoa aux nombreux légumes et une soupe poireaux-pommes de terre. Certains amateurs de bonne chair, sceptiques vis-à-vis la nourriture végétalienne, se laisseront convaincre par les menus variés et les saveurs internationales. Les portions ne sont pas gargantuesques, mais remplissent bien l’estomac. Et les gros mangeurs peuvent venir se resservir.

«La nourriture est plus santé et rejoint plus de monde que ce que l’on voit régulièrement dans les cafétérias, indique Gaby Pedicelli, membre du collectif à temps plein depuis trois ans. «The People’s Potato permet d’accueillir davantage de gens ayant certaines traditions alimentaires religieuses ou encore des personnes aux prises avec des allergies que les cuisines plus traditionnelles.» Les repas sont préparés à partir de dons de nourriture reçus de Moisson Montréal, et des aliments biologiques et locaux de préférence sont achetés dans les marchés publics de Montréal.

Contrer la pauvreté étudiante

The People’s Potato, créé en 1999 pour protester contre le monopole alimentaire universitaire, se voulait plus accessible et «plus santé» pour tous. Inspirés par l’organisation américaine Food not Bombs, l’équipe de fondateurs voulaient non seulement servir de la nourriture gratuitement pour contrer la pauvreté étudiante, mais aussi «utiliser la nourriture comme outil de mobilisation», selon Zev Tifienbach, l’un des fondateurs. «Servir des repas gratuits est en quelque sorte un acte politique», ajoute-t-il.

Gustavo Rodriguez, l’un des membres du collectif, croit que la mission d’origine de People’s Potato est toujours d’actualité et que le collectif y répond le plus possible.

«Nous soutenons toute cause de justice sociale et environnementale en offrant un service de traiteur et en prêtant notre cuisine à des organismes qui en ont besoin. Cela permet de rester attaché à notre objectif premier.»

En plus de servir des repas gratuits chaque midi de la semaine pendant toute l’année scolaire, the People’s Potato propose également un service de banque alimentaire, met en place des ateliers sur les conserves, le compostage et autres, et entretient un jardin pendant l’été. Leur maxime : la nourriture est un droit, et non un privilège.

Une patate bien rodée

Les 12 membres salariés du collectif font rouler la Patate et se rencontrent chaque semaine pour gérer les finances, planifier les ateliers, les recettes, les activités, etc. Au moins trois d’entre eux sont présents chaque jour dans la cuisine, aidés par une trentaine de bénévoles qui proviennent de la population étudiante ou de groupes communautaires.

L’association universitaire Concordia Student Union (CSU), qui soutient the People’s Potato depuis ses débuts, vote le financement de divers projets universitaires chaque six mois. C’est ainsi que la CSU a approuvé le versement par les étudiants de 37 cents par crédit universitaire au People’s Potato. Ce montant est remboursable, mais M. Rodriguez affirme que très peu de gens choisissent de se rétracter.

L’organisme obtient ainsi environ 250 000 $ par année. Des dons réguliers leur donnent en plus entre 150 et 250 $ par semaine. Les états financiers de People’s Potato ne sont pas préoccupants, selon Mme Pedicelli, qui ajoute cependant qu’il serait impossible de préparer beaucoup plus de repas avec leurs moyens actuels.

PetIte patate devIendra grande?

Les étudiants n’ont pas toujours les moyens d’acquérir de la nourriture de qualité et se tournent souvent vers l’aide parentale ou la nourriture fast-food. Une organisation comme the People’s Potato pourrait-elle devenir le seul fournisseur alimentaire d’une université entière? Chantal Hervieux, assistante de recherche à la Chaire de responsabilité sociale et de développement durable de l’UQAM, n’est pas de cet avis.

Selon elle, comme le fonctionnement de People’s Potato nécessite du financement provenant de l’ensemble de la communauté étudiante et l’implication de plusieurs bénévoles, une forte expansion de ses services demanderait des contributions beaucoup plus élevées. «Les contributions très élevées qui seraient nécessaires à prélever pour offrir des milliers de repas par jour seraient très difficiles à justifier et pourraient alimenter les contestations concernant l’obligation de payer pour un tel système.»

Il reste quelques volontaires dans la cuisine de People’s Potato; la vaisselle ne se fait pas toute seule, mais cette tâche perd de son ingratitude lorsqu’elle est accomplie à plusieurs. Alors que la conversation va bon train près de l’évier, on sert les dernières assiettes de la journée; il ne reste plus de soupe et presque plus de salade ni de quinoa. Les services de la Patate sont peut-être restreints, mais la bonne humeur et la solidarité qui règnent dans sa cuisine n’ont pas de limites.

 

classé sous : Non classé