De la grève de l’amiante à celle des étudiants

Normand D. Paquin, Le Trident de Wotton, juin 2012

En 1949, un conflit social majeur secoua le Québec : la Grève de l'amiante. En 2012, la Grève des étudiants a eu un effet comparable. L'épicentre de la Grève de l'amiante fut dans notre région, à Asbestos; celui de la Grève des étudiants, dans la métropole, à Montréal. Dans un cas comme dans l'autre, le Québec tout entier s'est mobilisé.

Au terme de la grève de 1949, les gains des travailleurs de l'amiante furent minimes. Mais les concessions obtenues furent bénéfiques à tous; même aux non grévistes. Le Gouvernement de Maurice Duplessis ne l'a jamais reconnu. En 2012, les gains des étudiants en grève seront possiblement moindres que ceux escomptés. Mais les concessions obtenues seront également bénéfiques à tous; même aux non grévistes. Le Gouvernement de Jean Charest l'a lui-même reconnu en faisant état des nombreuses améliorations qu'il a apportées à sa proposition initiale.

Au Danemark, les études supérieures sont non seulement gratuites, mais les étudiants sont payés pour étudier. C'est une façon de reconnaître qu'étudier, c'est travailler. Au Canada, les statistiques démontrent que la moitié des étudiants vivent sous le seuil de la pauvreté et qu'ils sont de plus en plus endettés. Les deux tiers habitent hors du foyer familial et 40 % ne reçoivent aucune aide de leurs parents. Qui plus est, 80 % étudient et travaillent à plein temps.

Une étude récente de l'OCDE révèle par ailleurs que 20 pays, dont le Danemark, sont en avance sur le Canada pour ce qui est de l'égalité des chances. En 1949, la Grève de l'amiante fut déclarée illégale par le Gouvernement. Aux yeux du Gouvernement, les travailleurs n'étaient pas des grévistes mais des hors-la-loi. En 2012, les étudiants n'étaient pas des grévistes aux yeux du Gouvernement, ils boycottaient tout simplement leurs cours. La Grève de l'amiante donna lieu à des actes de violence de la part de grévistes exaspérés. Des gestes non moins violents furent posés par les forces de l'ordre. La Grève des étudiants fut parfois marquée de part et d'autre par la violence, dont à Victoriaville.

Au coeur du conflit de la Grève de l'amiante, et au-delà des questions salariales et des conditions sanitaires, les travailleurs demandaient d'avoir leur mot à dire dans la gestion de l'entreprise. Quoique monnaie courante ailleurs, cette position fut jugée révolutionnaire par le Gouvernement de l'époque. Dans le présent conflit, l'insistance des étudiants à vouloir discuter de la question du gel des frais de scolarités, peut-être dans une perspective lointaine de gratuité, fut jugée non moins radicale par le Gouvernement. Les étudiants furent qualifiés d'irréalistes, d'irresponsables et d'enfants gâtés.

Pourtant, le Canada est signataire de la Convention internationale des droits économiques, sociaux et culturels qui préconise précisément l'instauration progressive de la gratuité des études supérieures. Aussi, en 2003, lorsque le Parti libéral endossa le gel des droits de scolarité, il allait dans le sens du traité. En 2005, le Gouvernement entreprit de faire marche arrière. Une grève des étudiants s'en suivit.

En 2007, le Gouvernement proposa le dégel des frais de scolarité et en 2012, il en décréta l'augmentation. En ce faisant, le Québec se trouve à renier ses obligations internationales d'instaurer progressivement la gratuité. C'est le cas également du Canada dans son ensemble, des États-Unis et d'autres pays où les frais de scolarité sont encore plus élevés. D'entrée de jeu, le Gouvernement s'était dit prêt à aborder toute question, sauf celle du gel des frais de scolarité; les étudiants, aussi, mais en incluant le gel des frais de scolarité. Comme en 1949 chez les travailleurs de l'amiante en regard de leur industrie, les étudiants, en 2012, souhaitaient avoir leur mot à dire dans la gestion de leur domaine, c'est-à-dire l'éducation.

En bout de ligne, l'absence d'un dénominateur commun et le durcissement des positions aboutirent à la présentation d'une loi spéciale. En 1949, ce fut la Loi de l'Émeute. Adoptée à la vapeur, l'actuelle et controversée Loi 78 (censée expirer le 1er juillet 2013) vise à assurer l'accès aux institutions d'enseignement supérieur pour les étudiants désireux de compléter leurs cours. Elle prévoit aussi de lourdes amendes pour ceux qui tenteraient de les en empêcher.

Plusieurs sont d'avis que la Loi 78 restreint la liberté d'expression et le droit d'association. Des juristes, dont l'expert en droits de la personne, Julius Grey ainsi que l'ex-juge et président du Conseil de Presse du Québec, John Gomery, ont émis de sérieuses réserves.

Cette Loi a d'ailleurs eu pour effet d'élargir le conflit, comme le mouvement des casseroles en témoigne. Selon le journal Les Actualités, ce mouvement se serait même fait entendre à Danville, Richmond et St-Camille. Craignant avec raison les effets néfastes d'un long conflit, notre député et ministre, Yvon Vallières, est d'avis que le dialogue revêt une grande importance pour la suite des choses.

La Grève de l'amiante prit fin le 1 er juillet 1949, suite à l'acceptation par les parties en cause de s'en remettre à un conciliateur. En 2012, le Barreau du Québec a également recommandé le recours à un conciliateur plutôt qu'à une loi spéciale. L'experte en médiation et ex-juge de la Cour d'Appel, Louise Otis, abonde dans le même sens. L'ex leader étudiant Léo Bureau-Blouin a révélé avoir lui aussi proposé cette avenue au Premier Ministre. Un appel aux urnes permettra sans doute aux citoyens de se prononcer sur la question des frais de scolarité. Fait à souligner, un sondage Harris-Decima effectué à la mi-mai révèle que près de 80 % des Canadiens et 60 % des Québécois sont favorables au gel ou à la réduction des frais de scolarité.

En 1949, le Gouvernement était carrément antisyndical. Ce n'est pas le cas en 2012. Mais en date du 8 juin, les tentatives des étudiants et du Gouvernement de trouver une sortie de crise n'en ont pas moins échoué. On dit que le mot crise, en chinois, signifie à la fois danger et opportunité. Ce fut le cas en 1949. Souhaitons qu'il en soit de même en 2012.

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