Bons baisers de Kamouraska

Remy-Paulin Twahirva, La Quête, Québec, juin 2012

Pour « nourrir le Québec», il faut évidemment des mains et des coeurs passionnés. Alors que la demande de produits frais et « bio » ne cesse d’augmenter, le nombre de producteurs locaux, lui, diminue. Dès lors, comment continuer à « nourrir le Québec » alors que la population continue de s’entasser dans les villes et leurs banlieues ? La solution pourrait-elle venir des villes elles-mêmes?

Mathieu Perron est un exemple de cette relève provenant du milieu urbain. Ethnologue de formation, le Montréalais de 35 ans a quitté sa ville natale pour vivre une passion qui ne cessait de l’habiter depuis longtemps. En effet, encore étudiant au cégep, Mathieu découvrit le Bas-Saint-Laurent. « Mon travail d'été avait été d'organiser divers voyages avec des groupes d'adultes handicapés intellectuellement, notamment au Bas-Saint-Laurent. Le coup de coeur provient justement de ce voyage ». Une fois ses études terminées, son nouvel emploi l’a amené à retourner à la campagne. « Comme ethnologue, j’avais déjà travaillé sur les fermes. Au début, j’y ai vécu un peu pour mon travail. Finalement, la tentation est devenue trop grande. Je voulais faire plus qu’étudier la campagne », je voulais la vivre.

C’est ainsi qu’au tournant de la trentaine, Mathieu a entamé des études collégiales en agriculture au Cégep de La Pocatière, tout en continuant à travailler sur des fermes. En 2006, Mathieu et sa conjointe Marie-Christine, professeur de français, ont acquis leur première ferme ovine familiale au Kamouraska. Ce sont les débuts timides de « L’ami berger ».

La même année, « il n’y avait plus que 8 000 producteurs de moins de 40 ans établis au Québec », nous informe au bout du fil Magali Delomier, directrice générale de la Fédération de la relève agricole (FRAQ). Cette organisation, qui regroupe 14 syndicats régionaux et est affiliée à l’Union des producteurs agricoles depuis 1982, s’intéresse justement au sort de l’avenir de la relève en agriculture au Québec. Que ce soit par des programmes d’aide financière, comme les Fonds d’investissement relève agricole, par la formation ou encore par la valorisation de la campagne, la FRAQ travaille essentiellement à assurer une relève dans le milieu agricole.

Cependant, pour Mathieu, la FRAQ comble principalement un besoin social, une base de contacts. « C'est surtout la Financière agricole du Québec qui a une subvention à la relève de 30 000 $ et qui fournit une aide lorsqu'on négocie notre financement en garantissant certains prêts ». Il confirme par la suite avoir bénéficié de cette subvention. C'est que le premier défi pour toute personne désirant s’établir à la campagne est l’argent. « Le prix, explique Mme Delomier, varie selon le type de produits. Une ferme bovine coûte plus cher qu’une ferme maraîchère, par exemple ». Heureusement pour Mathieu, il avait également son travail d’ethnologue pour arrondir les fins de mois : « On peut aussi faire de la location d’équipements et de bâtiments ».

Entre le rêve et la réalité, il y a bien sûr beaucoup de différences. « Ce fut assez surprenant de faire 60 heures par semaine. Je ne m’attendais pas vraiment à ça », nous confie Mathieu en toute honnêteté. Père de deux enfants de 5 et 7 ans, il avoue que la vie de famille a été touchée par la nouvelle routine. « On s’attendait  à avoir plus de temps avec les enfants. Mais quand on a une brebis qui n’arrive pas à accoucher et qu’on doit aller chercher les enfants à la garderie, eh bien, c’est plus difficile ». Il leur a donc fallu concilier le travail et la famille : quand ils ne sont pas à la garderie, Laure et Noé les accompagnent dans leur travail. « Ils ont chacun leur âne », dit Mathieu d’un ton badin.

Autres adaptations; les loisirs et le transport. En effet, adieu le vélo ou la marche pour aller à la boulangerie ou à l’épicerie du quartier. « On rentabilise toutefois les déplacements ». Adieu aussi le cinéma à chaque semaine. Amateur de cinéma de répertoire, Mathieu avoue que ce fut un deuil à faire. Des regrets ? « Non, aucun regret. Oui, il y a eu quelques désillusions, mais aucun regret », assure-t-il avec conviction. « L’agriculture, c’est un mode de vie. On l’adopte, c’est tout ».

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