Patrick Connors, Le Stéphanois, Saint-Étienne-de-Grès, juin 2012
Cet affrontement qui perdure s’alimente en grande partie d’une suite de dérapages et de confusions. Au départ, au lieu de parler de boycott des cours, on a parlé de grève. Or, première confusion, on ne peut parler ici de « grève » car il ne s’agit ni d’employeurs ni d’employés. Les écoles ne sont pas des employeurs et les élèves, des employés.
Cette première confusion en a engendré une deuxième. Les étudiants devenus «grévistes» se sont prévalus des dispositions du code du travail (régissant les relations entre employeurs et employés) pour en utiliser les règles. De là les lignes de piquetage devant les écoles empêchant, sans aucun droit, les élèves qui le désiraient de suivre leurs cours. Cette absence de droit est prouvée par les multiples injonctions accordées par les juges.
Les choses sont devenues encore plus confuses quand les objectifs poursuivis se sont « enrichis ». Au gel des droits de scolarité (à terme la gratuité complète) on a ajouté en cours de route : une meilleure gestion des universités; un arrêt de la décentralisation des campus; une réévaluation des salaires des recteurs; et d’autres que j’oublie.
Il est impératif de se rappeler la rencontre de consultation tenue sur la question des frais de scolarité en 2010 par le gouvernement en préparation du budget 2011; les étudiants ont claqué la porte sous prétexte qu’on ne les écoutait pas (écouter signifiant dire oui à leurs demandes). C’est suite à cette consultation que le gouvernement a décidé de l’augmentation des droits de scolarité. Ce printemps 2012 les étudiants ont lancé un ultimatum au gouvernement : le gel des frais de scolarité et rien de moins. Et leurs leaders se sont engagés à ce moment envers leurs commettants à faire plier le gouvernement. À mesure que les semaines passaient ils s’ancraient de plus en plus dans leur conviction de réussir à mettre le gouvernement à genoux et entraînaient les étudiants dans cette croisade.
À ce jour, malgré l’impopularité du gouvernement, ils n’ont pas encore réussi. Dieu merci. Au contraire, sur cette question précise, le gros bon sens a prévalu et l’appui de la population au gouvernement n’a cessé de croître.
Il faut avoir en tête que le gouvernement du Québec a l’énorme fardeau d’arbitrer équitablement le partage annuel des 73 236 619 700 $ de nos impôts. Et chaque individu, organisme, corporation, syndicat…. trouve toujours trop petit son morceau de la tarte et, habituellement, ne se prive pas de le faire savoir de multiples façons. De ces crédits, 21 % soit 15 672 206 700 $ vont à l’éducation dont 4 949 320 400 $ soit 32 % à l’enseignement supérieur (Cégeps et Universités). Dans ce monstrueux arbitrage, ce qui est accordé à l’un est fatalement retiré à un autre.
La grande question qui se pose actuellement : qui doit décider? Il se trouve qu’au Québec, nous avons choisi de vivre dans un État de droit, et dans une démocratie de représentation (par nos députés) et non de participation (via des référendums populaires). Il en découle impérativement qu’entre deux élections, c’est le gouvernement élu et lui seul qui décide et non la rue. Et ce, que ce gouvernement soit libéral, péquiste, caquiste, Québec solidaire, vert, peu importe.
Au moment d’écrire ces lignes, on en est au 82e jour de boycott des cours par les étudiants. À la différence du primaire et du secondaire, la loi n’oblige pas les étudiants des collèges et universités à fréquenter leur institution d’enseignement. Elle ne les autorise pas, par contre à empêcher les étudiants (majoritaires) qui le désirent d’y avoir accès. En effet, c’est aujourd’hui une minorité d’étudiants qui boycottent leurs cours. Si le gouvernement cède ses droits aujourd’hui devant un groupe de pression minoritaire, où vat-on s’arrêter? Quel sort attend les futurs gouvernements? Évaluons la situation actuelle et surtout à venir, à la lumière de la sagesse des anciens : … Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leur parole, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus au-dessus d’eux l’autorité de rien ni de personne, alors c’est là en toute beauté et en toute jeunesse le début de la tyrannie …
PLATON 429-347 av JC, extrait de La République.