Amélie Charest, Le Mouton NOIR, Rimouski, mai-juin 2012
Ah, les jeunes ! Ces individualistes accrochés à leur cellulaire, consommant de la culture de masse, conformistes, peu portés vers les autres. Enfants gâtés qui ont tout eu et qui en veulent encore davantage. Avouons qu’ils nous ont bien eus, qu’ils nous ont donné une sacrée leçon. La génération montante a tout pour inspirer les plus aigris, ceux des générations immobiles.
Des enfants gâtés ?
Ceux qui prennent la rue ces jours-ci ne le font certes pas que pour des raisons personnelles. Plusieurs auront fini leurs études quand la hausse des frais de scolarité aura atteint son maximum et pour la cause à laquelle ils croient, ils mettent leur session en péril. Sont-ils égoïstes parce qu’ils perturbent l’ordre public en empêchant les honnêtes travailleurs de se rendre au boulot ? Ce sacro-saint ordre public a peut-être un prix ; celui de l’immobilisme social. Souvent, rien n’avance parce qu’on ne veut pas déranger le voisin, qu’on ne veut pas lui faire de la peine… La solidarité des étudiants a quelque chose d’émouvant, parce qu’elle se trouve là où on l’attendait le moins. Ceux qu’on disait gâtés parlent soudain au nom d’une société de plus en plus cynique. Ça sent la révolution. Et que dire de la créativité dont ils font preuve ? Des pancartes inspirantes, un « printemps érable » haut en couleur.
Issus du système
Ces jeunes, nous les avons, peut-être sans le vouloir, éduqués à cette solidarité. En effet, rappelons-nous que ce sont les enfants de la réforme scolaire. Alors qu’on émet de sérieux doutes quant au succès de cette réforme du point de vue académique, peut-être est-elle en train de faire ses preuves sur le plan social. Tout le long du parcours scolaire de ces « enfants de la réforme », des enseignants et des enseignantes les ont encouragés à travailler en équipe pour mener à bien des projets, pour atteindre un but commun. Et au sein même de la classe, on leur a appris à collaborer, à coopérer, à socialiser. À unir leurs forces. On a tenté de leur inculquer des valeurs citoyennes. Peut-être cela a-t-il porté fruit. On est loin de l’individualisme et de l’esprit de compétition qui régnait au sein des classes il y a 30 ans.
Et cette génération, n’est-elle pas celle qu’on appelait les « enfants rois » ? Ceux à qui on ne disait jamais non, et qui seraient devenus des monstres nombrilistes ? Pour des jeunes dont l’éducation à la maison se résumait, paraît-il, à combler tous leurs désirs, il est renversant de voir à quel point le « chacun-pour-soi » a évolué vers un « un pour tous et tous pour un » bien senti.
Matérialistes
On a entendu, à tort et à travers, des arguments douteux comme quoi les étudiants étaient équipés des appareils technologiques les plus récents, qu’ils étaient matérialistes. Quoique cet aspect soit anecdotique, peut-être faut-il se pencher sur les racines de ce matérialisme. Car les jeunes ne sont pas seulement issus d’un système scolaire, mais aussi d’un système capitaliste qui ne les pousse que vers la consommation. Dès l’école primaire, où les classes sont équipées d’ordinateurs, ils sont bombardés de publicité concernant les derniers gadgets, ils rêvent pour Noël du prochain iPod. Et institutionnellement, on choisit, plutôt que d’ajouter des ressources humaines dans les écoles, de les équiper en tableaux blancs interactifs, dont la plupart des enseignants ne veulent pas. On préfère la technologie à l’humain. Comment voudrait-on que les étudiants ne prennent pas le pli ? Élevés dans cette société de consommation, ils se battent pour des valeurs sociales. Intéressant.
En outre, les étudiants mobilisés ne semblent pas avoir la culpabilité judéo-chrétienne de réussir sur le plan matériel. Leur mouvement casse l’idée établie que les pauvres se battent pour les causes sociales contre les riches qui veulent la paix. Pour une fois, on voit des citoyens unis. Bonne leçon aux cyniques.
Finalement, peu importe l’issue des revendications étudiantes, et qu’on les appuie ou non, voir une jeunesse que plusieurs croyaient endormie se lever ainsi fait du bien. Espérons que ce « printemps érable » soit la première de plusieurs saisons de changement.