Régions, vous dites

Nicolas Paquet, Le Mouton NOIR, Rimouski, mai-juin 2012

La société de consommation a élevé le marketing au titre de science. Le nom de chaque chose, de chaque produit ou institution doit être bien pensé. Dans ce contexte, on peut se demander si le problème des régions n’en est pas un de langage. Régions ressources, éloignées et dévitalisées, occupées… ça donne le goût ! Réflexion sémantique sur notre territoire.

 

Régions ressources

 

On a un temps mis de l’avant le terme « ressources » pour les désigner, ces régions vertes de leurs forêts et trouées de leurs mines. Cela sous-entend une relation à sens unique. Il s’agit d’aller chercher la dite ressource, comme l’ont fait des centaines d’entreprises canadiennes et étrangères. Le Plan Nord promet une résurgence de cette mentalité. Notre gouvernement (ça fait mal de le dire, mais nous l’avons élu) oublie que les régions ne sont pas là pour être exploitées, mais d’abord pour qu’une relation harmonieuse entre les habitants et leur milieu soit établie. Le hic réside dans le fait que, la plupart du temps, les habitants de ces lieux lointains survivent entre des périodes de boums industriels et de déclin social pour que le « bien commun économique » se porte mieux. Combien de temps peut-on naviguer sur un bateau dont la coque prend l’eau ? Sur le pont supérieur, on patauge dans le spa, champagne à la main. Si l’eau s’infiltre un peu trop dans la salle des machines, on envoie un scaphandrier colmater la brèche, tout en sachant que la plaie s’ouvrira de nouveau prochainement sous la pression du système.

Devant ce constat, osons revisiter la pensée de John Locke à la lumière de notre connaissance actuelle de la terre que nous habitons. Le philosophe anglais a émis la thèse selon laquelle, en deux mots, nous pouvons faire « bon usage » de la terre et de la propriété tant que nous en laissons assez pour les autres. Une terre en friche appartient au premier venu qui saura la faire fructifier. C’est un peu le principe du « free mining » québécois qui permet à toute entreprise de se saisir d’une portion du sous-sol pour l’exploiter. À la lumière de la crise écologique que cette mentalité a contribué à entraîner, il est fondamental de redéfinir la notion de « bon usage ». Les fruits à récolter doivent être de qualité et partagés. À la priorité de la propriété privée, nous devons opposer le bien commun. Si une compagnie se propose de faire des millions en extirpant le gaz du sol tout en privant un village d’eau potable, peut-on parler d’un usage justifié du territoire ? À vous de le dire.

D’un autre côté, la ruralité offre bel et bien l’occasion d’un ressourcement, qui lui ne s’épuise pas facilement comme nos minérais et notre forêt. Mais les touristes et vacanciers choisiront-ils toujours, dans quelques années, les trous qui se creusent en Abitibi, ou encore les rejets toxiques de la fracture hydraulique qui pollueront notre vallée fluviale, pour prendre une pause ? Ressources et ressourcement ne vont pas nécessairement de pair.

 

Régions éloignées

 

L’appellation qui fait référence à la grande distance séparant les centres et les villes régionales ne me semble pas plus reluisante. Combien de route seriez-vous prêts à parcourir pour voir votre « cousin lointain » ? Si on vous offre une prime d’éloignement, vous y pensez. Ce genre de bonus viendrait donc compenser un sacrifice. Si c’est bon pour le moral de l’empoyé, ça donne un coup dur à l’image des lieux. Mais tout compte fait, loin des yeux, loin des préoccupations. Qui dit éloigné présuppose un centre, que l’on dit grand, mais qui serait plus justement qualifié de gros, gros de son ambition démesurée. Gardons pour une autre discussion l’obésité des grandes villes. La présente proposition demeure celle d’attribuer une juste valeur aux régions, aux petites villes, aux communautés à densité humaine. Loin, nous le sommes toujours de quelque chose. Cela est relatif et surtout réducteur.

 

Territoires en difficulté et occupés

 

Le gouvernement de Jean Charest, un homme originaire d’une région pas vraiment « lointaine », a renommé le ministère des Régions pour lui accoller le terme « occupation du territoire ». Historiquement, les termes « occupé » et « occupation » comportent de lourdes connotations. Cette conception du territoire s’illustre avec clarté dans diverses actions des libéraux, comme encore une fois le Plan Nord (désolé, mais ce plan constitue un emblème de la mauvaise planification trop tentant). En effet, il s’agit de permettre aux grandes entreprises avides de profits d’occuper les régions, de les envahir sans qu’aucun obstacle puissent bloquer leur route. Comme on dit, le territoire, ils vont s’en occuper. Ils vont lui régler son cas. Ce sont les compagnies et leurs actionnaires qui occupent notre territoire. L’occupation n’est pas permanente par définition.

Une occupation saine est-elle envisageable ? Une « pré-occupation » ? Possiblement, si nous optons pour que les réels habitants du territoire, ceux qui y vivent et y vivront encore pour longtemps, puissent voir chacun de leur côté et communément quelle occupation, au sens de travail et de mode de vie convivial, ils décident d’adopter.

Enfin, pour classer les régions les plus amochées, on leur assigne la qualité de « dévitalisées ». Ici, la vie n’est plus, alors seulement une action est justifiée et un programme se chargera de voir si une résurrection est possible. Dieu, aidez-nous ! Imaginez seulement une classe de 25 élèves où l’on oserait étiquetter visiblement la minorité qui en arrache. Trois ou quatre enfants avec un chapeau « risque d’échec imminent » ou encore « en perte sérieuse de vitesse ». Ça vous tente ?

Il existe tant de mots porteurs de sens, régions souches ou racines, régions en amont, régions cardinales. Soyons imaginatifs. Des suggestions ?

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