La Manga mania frappe Montréal !

Ewan Sauves, L’Itinéraire, Montréal, le 1er mai 2012

Samedi soir, 18 h 30. Alors que la rue Saint-Denis commence à s'animer, l'heure est déjà à la fête au 3623. Ce soir, la dizaine de jeunes réunis célèbre l'anniversaire de Kakashi, personnage connu dans l'univers des mangas japonais. Quelques passionnés se sont même déguisés pour l'occasion. D'autres sont sagement allongés sur un des canapés en cuir, livre à la main.

Les murs noirs de l'endroit, recouverts de rideaux de couleur rouge sang, donnent l'impression au visiteur d'entrer dans un donjon machiavélique. Bienvenue au café 0-Taku Manga Lounge. «Le café a ouvert ses portes en octobre 2010 et l'objectif était de créer un point de rassemblement pour tous les passionnés de mangas et de culture japonaise», explique le propriétaire, Alexandre Vargas.

Originaire de France, l'homme de 31 ans prend une grande respiration avant d'expliquer comment il a attrapé la fièvre des mangas. Après un moment d'hésitation, il se confie. «Lorsque j'essaye de me souvenir du tout premier film que j'ai vu à la télé, j'ai toujours celui d'un animé japonais, dit-il, assis sur un divan placé au milieu de centaines de livres mangas. C'est vraiment comme ça que tout a commencé.» 0-Taku Manga Lounge fonctionne comme un café traditionnel. L'établissement propose la dégustation d'une gamme de thés aux herbes japonaises, ainsi que les célèbres Bubble Tea. Sur place, deux espaces de détente sont dédiés uniquement à la lecture. Et ce n'est pas le choix qui manque aux amateurs de bandes dessinées : des étagères pleines à craquer sont à leur disposition. Une tarificatioin de 5 $ l'heure est toutefois applicable. Des cours de japonais pour débutants et avancés sont aussi offerts le mardi et le mercredi. Mais ce sont les projections des derniers films mangas en avant-première qui attirent particulièrement les foules.

Le manga est une littérature vieille de plus de 250 ans. Les aventures de Mankaku Zuihitsu, du Japonais Kankei Suzuki, ont ouvert le bal en 1771. Aujourd'hui, il existe une quantité faramineuse de mangas japonais. Alexandre Vargas propose à sa clientèle trois grandes catégories de mangas : les shonen, les shoio et les seinen. Les shonen racontent le quotidien d'un jeune garçon rêveur et courageux qui doit accomplir une mission. «Ils sont un exemple parfait de médium qui passe un message ancestral à ses lecteurs, explique le Nippon de coeur. Le personnage principal doit relever des défis en combattant des créatures légendaires et mythiques. L'adolescent japonais finit par en apprendre plus sur son héritage.»

Les shoio mettent en scène des personnages principalement féminins. Destinés à un lectorat de 12 à 25 ans, les récits dressent le portrait de magical girls avides d'amour. «Au Japon, il y a encore beaucoup de mariages arrangés et les mangas permettent aux jeunes filles de s'évader, ajoute-t-il. Elles aussi ont besoin d'exotisme.»

Quant aux seinen, ils sont réservés à un public plus âgé et mature, les sujets abordés étant plus sombres et sensibles. «Ce qu'il y a de particulier avec les animés japonais, c'est qu'on ne cherche pas à séduire les autres cultures. Le but premier des mangas n'est pas de partager la culture japonaise avec les Occidentaux. Il s'agit d'un art créé par les Japonais pour les Japonais.»

Depuis cet hiver, Misa Hirai donnera le cours intitulé «Lecture de mangas». Chargée de cours à l'Université du Québec à Montréal (UQAM), Misa Hirai indique qu'il s'agit d'une première au Québec. Aucune autre université québécoise n'offre de cours portant uniquement sur l'étude de cette littérature populaire. « Je croise beaucoup d'étudiants qui veulent apprendre le japonais, mais ils ne savent pas comment s'y prendre, constate Misa Hirai. Or, on l'apprend plus facilement en lisant des mangas.»

La chargée de cours indique que dans les bandes dessinées japonaises, ce n'est pas l'aventure qui compte, mais plutôt la recherche de l'identité du personnage. Par exemple, dans la série Fullmetal Alchemist, le héros vend son âme afin de retrouver et de sauver sa mère. «On aborde des thèmes hors du commun, jamais abordés dans les bandes dessinées populaires, comme le sacrifice, souligne-t-elle. Ce n'est pas comme les oeuvres américaines où les histoires se répètent constamment.»

Allongé sur un coussin par terre, Felix Préjent lit un shonen. Depuis l'ouverture du café O-Taku Manga Lounge et sa rencontre avec Alexandre Vargas, le jeune homme de 19 ans se fascine pour la littérature du pays du Soleil levant. « J'étais un gars de bande dessinée franco-belge, surtout Tintin. Maintenant, je passe ma vie dans ce café, dit-il en riant. Les mangas ont l'avantage de s'étendre sur 30-40 livres. Les personnages évoluent plus lentement; alors, on finit par s'y attacher énormément.»

Pour le propriétaire de l'établissement, le Québec est encore à un stade embryonnaire en ce qui concerne la diffusion et la vente des mangas. Alors qu'en France ils sont plus de 200 000 à participer à la convention annuelle Japan Expo, le Salon Otakuthon de Montréal réunit seulement 9 000 adeptes. «Mais pour une première année de commerce, je suis satisfait des résultats, affirme-t-il en toute modestie. L'engouement est bel et bien là.»
 

classé sous : Non classé