Les vrais écoquartiers existent déjà : ce sont les quartiers du centre-ville!

Marc Boutin, Droit de parole, Québec, avril 2012

Les modèles à suivre sont avec nous depuis des générations : des écoquartiers tout-cuits-dans-lebec, des écoquartiers avant la lettre. Plusieurs des qualités de la ville durable, qu’on cherche à implanter dans les nouveaux écoquartiers, sont déjà présentes dans les quartiers populaires : densité, proximité, solidarité sociale, mixité.

Hélas, ces quartiers, hérités de l’histoire, sont laissés pour compte par une administration municipale qui cherche à réinventer ailleurs la roue. Dans les quartiers du centre-ville, les statistiques démographiques stagnent, l’économie locale et artisanale régresse, plusieurs services — dont certains essentiels comme un marché d’alimentation — sont soit manquants, soit à l’abandon et partout, l’automobile continue à créer des dépendances et faire des ravages dans la trame urbaine.

Une exception cependant à la morosité ambiante : tout baigne dans l’huile du côté de l’hôtel-de-ville lorsque l’industrie touristique s’en mêle. Le mot d’ordre : remplir les hôtels et désennuyer les banlieusards. Que ne ferait-on pas pour promouvoir les Red Bull Crashed Ice, les Madonas et les Big Air de ce monde, quitte à faire fuir d’autres résidants, d’autres familles du centre-ville?

 

Une économie de proximité

 

Les difficultés reliées à l’économie de quartier se traduisent souvent, pour les résidants, par des défauts d’approvisionnements de proximité. Je me rappelle avoir été incapable de trouver, dans le faubourg Saint- Jean ou à Saint-Roch, une balle de caoutchouc (du genre bleu-blanc-rouge) pour mes enfants. J’ai dû réserver une voiture de Communauto et me rendre au centre Fleur-de-lys. La balle de trois dollars m’en a coûté trente, sans compter deux heures de vaine recherche.

En revanche, quelle facilité d’accès et quel choix quand il s’agit de trouver un restaurant, ou pour acheter de la bouffe de qualité sur les rues commerciales, St-Jean intra et extra muros, St-Joseph, 3e Avenue ou St-Vallier est et ouest. Toutes des rues à la portée de ce piéton moyennement aguerri qu’est l’urbain moyen. Les quartiers du centre-ville sont des écoquartiers par la proximité interne (la proximité des résidences et des différentes fonctions administratives et de services à l’intérieur des limites du quartier) mais aussi, et peut-être surtout, par la proximité externe. Celle des quartiers limitrophes, relativement spécialisés, qui alimentent une complémentarité économique accessible aux déplacements piétons et propres au centre-ville. L’ensemble de ces quartiers forme une ville compacte, la ville urbaine, qui contraste avec la ville dispersée de la banlieue, la ville rurale. Un écoquartier isolé, ou éloigné de cette ville compacte, ne peut survivre sans devenir dépendant de l’automobile, et cette dépendance en fera, à terme, une banlieue comme les autres, même si les toits sont «végés», les rues piétonnes et si on y recycle les déchets.

 

La mobilité durable

 

Les projets de villes durables, plaqués en plein territoire automobile, relèvent de la pensée magique. Il n’y aura pas d’écoquartiers dignes de ce nom autour de l’échangeur Charest/Robert-Bourassa même si le «tramway Labeaume» passe par là un jour. Et vouloir créer un écoquartier aux limites extrêmes du Lac Beauport, comme le prévoit un promoteur plus futé que la moyenne, relève de la récupération sémantique et de la plus pure démagogie entrepreneuriale.

La résistance à l’automobile est centrale à la question des écoquartiers. Les quartiers urbains du centre-ville n’ont pas le choix, ils tolèrent l’automobile. Ils sont enclavés dans une agglomération urbaine aménagée selon les diktats capitulards de notre ineffable «Ministère de la Voirie». Mais tolérance à l’automobile, ne veut pas dire soumission à l’automobile. Nos quartiers centraux datent d’avant l’ère de l’automobile, et c’est de là qu’ils tirent leur intérêt pour le piéton, leur urbanité et ces qualités de la ville durable qu’on cherche à implanter dans les nouveaux écoquartiers excentriques : densité, proximité des services, solidarité sociale, mixité des fonctions, des classes sociales et des générations, autarcie économique et culturelle relative, etc.

 

L’importance de la résistance

 

Les villes et les quartiers qui résistent à l’automobile se situent à l’avant-garde des villes du XXIe siècle. Elles deviennent créatives. Les villes qui capitulent face à l’auto, se condamnent à l’insignifiance et, comme la grande majorité des villes du continent, elles alimentent la grande tristesse nord-américaine des échangeurs et de leurs banlieues interminables. Voilà à quoi pourrait nous réduire notre ineffable maire, qui a solennellement déclaré : «On ne touchera pas (au monopole local) de l’industrie automobile».

Autre vache à lait locale qui nous invite à la résistance : l’industrie touristique. La meilleur façon d’encourager le tourisme — et non l’industrie touristique — serait d’encourager le retour de la fonction résidentielle familiale au centre-ville. Un touriste évolué vient certes voir un site, mais tout autant que le site, il veut rencontrer du monde. Comment faire pour attirer des résidants? : en agrandissant le périmètre de la ville compacte, en diversifiant l’économie du centre-ville par la très petite entreprise, la seule qui peut s’intégrer à une trame urbaine fragmentée et à un lotissement égalitaire. En favorisant le logement social au détriment des condominiums. Enfin, par des interventions de l’état municipal pour étouffer la spéculation qui, par elle-même, étouffe toute vie convivialité urbaine.

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