Serge Roy : Rebelle et responsable

Nathalie Côté, Droit de parole, Québec, avril 2012

Serge Roy vient de terminer un essai intitulé Fonction publique menacée. Le néo-libéralisme à l’assaut des services publics, #1981-2011 publié chez M Éditeur. Impliqué dans les groupes populaires de Québec depuis la fin des années 1960, syndicaliste ardent et écologiste militant, l’homme est généreux dans tout ce qu’il entreprend. C’est pour témoigner de son expérience dans la fonction publique québécoise que le candidat de Québec Solidaire dans le comté de Taschereau a rédigé cet essai. Nous l’avons rencontré quelques jours avant la sortie de son livre.

 

À qui s’adresse votre essai ?

À la base, il s’adresse à tout le monde intéressé par la fonction publique et aux services publics. De manière plus large à quiconque veut savoir ce que l’État fait et ce que le gouvernement a choisi de faire. Je souhaite ardemment que les fonctionnaires s’intéressent à mon livre en particulier pour qu’ils voient l’importance du travail qu’ils font. Je leur adresse un appel pour qu’ils valorisent leur travail. Et qu’ils ne s’adonnent pas à écouter ceux qui disent que le travail des fonctionnaires ça ne vaut rien, si je résume. Mais c’est sûr qu’il y a des courants de pensée qui disent que la fonction publique c’est nuisible. J’ai travaillé 25 ans dans la fonction publique avant de travailler au syndicat. C’est certain que vérifier des rapports de taxes, ce n’est pas ce qu’il y a de plus passionnant, mais c’est une tâche extrêmement importante.

 

Le travail de fonctionnaire est tellement dévalorisé en ce moment, que cela doit être difficile d’être stimulé pour ceux et celles qui le font?

C’est très frustrant et inquiétant dans le contexte actuel en effet. Il faut que les fonctionnaires se battent pour faire leur travail correctement. C’est très dur, particulièrement pour ceux et celles qui sont au service du public, à l’aide sociale par exemple. Ils sont formés comme travailleurs sociaux et on leur demande de travailler comme des machines.

 

Dans votre essai vous dénoncez les coupes dans la fonction publique à l’oeuvre depuis trente ans au Québec. Est-ce une réponse aux discours de la droite, comme celui défendu par Radio X ou le FM 93 qui ont, dès le budget libéral de 2010, revendiqué un «grand ménage» au gouvernement ?

Incidemment oui, mais mon objectif premier n’était pas de répondre aux radio-poubelles. Depuis 30 ans, on a beaucoup entendu parler des impacts des politiques néolibérales dans les secteurs de la santé et de l’éducation. On n’a pas beaucoup eu accès à des recherches sur les conséquences de ces politiques sur les services de la fonction publique elle-même. Ma motivation première, c’était de fournir une ressource qui fait la démonstration que ça a été aussi grave dans la fonction publique que dans la santé et l’éducation. Probablement c’est moins spectaculaire aux yeux des gens, mais on doit les mettre dans la liste des dégâts du néolibéralisme au Québec.

 

Votre livre arrive au bon moment, alors que le gouvernement fédéral annonçait aussi récemment l’abolition de milliers de postes dans la fonction publique. Avec les années, on finit par se demander : «À quoi sert fonction publique?»

Mon livre commence par expliquer à quoi sert la fonction publique. Je ne parle pas de tout, cela prendrait des milliers de pages. Mais j’illustre la situation avec les commissions de protection des lois, telles la Commission des droits de la personne, la Régie du logement qui doivent faire appliquer des règles. Je parle du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, un ministère extrêmement important. Je parle du ministère des Transports, qui a, on le sait, eu de graves problèmes à cause de certaines politiques mises de l’avant qui sont liées à la recherche de l’élimination du déficit à tout prix et à l’idée que le privé faisait mieux les choses que le public. Avec le rapport Duchesneau on a un nouvel exemple qui démontre que cela n’est pas vrai.

 

Mais ne peut-on quand même pas dire qu’il y a trop de bureaucratie au gouvernement?

On peut voir la bureaucratie comme encombrante ou comme partie prenante à l’organisation du service public. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas des choses à changer, mais je prétends qu’il y a eu beaucoup d’améliorations. Mais quand le gouvernement fédéral annonce, comme dans son dernier budget, l’abolition de plus de 10 000 emplois, c’est un peu de la propagande. En réalité, on peut prendre pour acquis qu’une partie de ces postes sont déjà vacants. C’est laisser sous-entendre que les gens ne font pas de choses utiles. Les gens qui sont contents parce qu’on abolit des postes de fonctionnaires seront peut-être les premiers à se plaindre parce que ça prendra trop de temps avant que la déclaration d’impôt de monsieur ou madame x soit traitée(…)

 

Si ce n’est pas la population qui désire que l’État diminue sa taille, cela vient d’où?

C’est un courant de pensée — et j’en parle dans mon livre bien sûr — le courant néolibéral effectivement qui a pris le «contrôle » du FMI (Fonds monétaire international), de l’OCDE (Organisation de la Coopération et du Développement économique), de la Banque mondiale. Beaucoup de gens se sont entendus pour dire que les interventions de l’État sont inefficaces et coûteuses; que ça marche tout croche. Sans en faire la démonstration cependant. Que cela ne marche pas à notre goût, il faut dire que c’est aussi le cas dans les entreprises. J’invite les gens à se poser des questions sur la gestion de Bell Canada, sur celle de Quebecor ou des grandes compagnies d’automobiles. Dans ces cas-là, on ne parle pas de bureaucratie pourtant. Mais les néolibéraux n’ont pas encore triomphé. On peut dire qu’au Canada, et au Québec en particulier, il y a encore des services publics qui se tiennent. Malgré la désinformation et le discours des médias de masse.

 

Vous défendez une dimension noble de l’État qu’on aurait perdue ?

Il y a l’État comme structure de pouvoir, d’encadrement, de contrôle des personnes, – je suis assez à l’aise avec les critiques anarchistes de l’État -, mais je vis en 2012. Si on fait disparaître l’État au moment où on se parle, imaginez ce qui disparaît en termes d’outils collectifs. Moi, je présente la fonction publique comme étant un outil collectif qu’il faut s’approprier et contrôler collectivement. C’est la conclusion à laquelle j’arrive dans mon livre. Je dis qu’il faut défendre la fonction publique. Par exemple, l’environnement. On peut défendre le ministère de l’Agriculture quand il aide les agriculteurs à mieux cultiver la terre et à élever le bétail de façon respectueuse de l’environnement et de la sécurité alimentaire. Je pose aussi la question de la démocratie dans la détermination des politiques et des règles. Nous avons une démocratie qui est faible parce que nous n’avons pas une démocratie qui permet aux citoyens d’avoir un contrôle sur les dépenses publiques. C’est une autre des conclusions à laquelle j’arrive. Avant tout, c’est de comprendre le rôle de l’État dans la société actuelle. On a intérêt à ce qu’il soit relativement fort pour contrer les effets du capitalisme.

 

C’est la social-démocratie…

La social-démocratie défend ça. Mais l’on ne peut pas compter tellement sur les Libéraux et les Conservateurs pour faire ça. La social-démocratie va sur ce terrain-là, mais pas toujours de façon vigoureuse. Je pense que c’est la mobilisation populaire, au-delà des partis politiques, qui doit préserver les services publics, en attendant de bâtir autre chose que le capitalisme. À l’heure actuelle, on a intérêt que le ministère de l’Environnement ait assez de personnel pour assurer le respect des normes de qualité de l’eau par exemple.

 

En plus de votre travail dans le Syndicat de la fonction publique du Québec, vous avez toujours été très près des groupes populaires, pourquoi est-ce si important pour vous?

J’ai vu la création de plusieurs groupes populaires de Québec. En même temps, je devenais de plus en plus impliqué dans le monde syndical. Cela a toujours été important pour moi de garder un ancrage dans les mouvements sociaux, dans les mouvements populaires parce que pour moi, le changement de société ne sera possible que dans la mesure où à la fois les milieux de vie et les milieux de travail seront embarqués dans une stratégie de transformation de cette société-là.

On ne peut pas dire : les comités de citoyens à eux seuls vont transformer la société, le monde du travail à lui seul va transformer la société, parce que la société c’est beaucoup plus que chacune de ses composantes. Je dis toujours qu’il faut qu’il y ait une alliance entre les mouvements sociaux progressistes pour qu’on s’entende sur une stratégie pour avoir un rapport de force face au capitalisme, particulièrement celui qu’on connaît aujourd’hui, le capitalisme financier. S’il n’y a pas d’alliance entre ceux qui luttent pour la justice sociale, le contrôle sur nos vies et sur l’économie va rester entre les mains d’une poignée d’individus qui profitent de la situation; qui profitent aussi de l’abdication des politiciens face au pouvoir financier.

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