Laura Pelletier B, L’Itinéraire, Montréal, le 15 avril 2012
Parcourir le monde dans un univers sans voix, mais rempli d'images… En tant que pianiste en résidence de la Cinémathèque québécoise, Gabriel Thibaudeau accompagne les films muets qui sont présentés les vendredis soirs. Son art l'a amené à faire le tour des festivals européens, dont le Pordenone en Italie, le plus grand festival de films sans dialogue au monde. L'Itinéraire a discuté avec lui, une conversation Montréal-Berlin, puisqu'il était en Allemagne dans le cadre du festival international du film de Berlin.
En tant que pianiste en résidence, Gabriel Thibodeau dispose d'un local à la Cinémathèque québécoise et peut se projeter des films en tout temps. Cette alliance dure depuis 25 ans. Pourtant, l'artiste ne visait pas cette spécialisation hors du commun lorsqu'il a commencé sa carrière musicale, même s'il avait toujours aimé la composition et le cinéma. « J'étais producteur d'opérettes à l'hôtel Reine-Élizabeth et je voulais essayer quelque chose de nouveau. Un de mes amis m'a proposé de prendre sa place à la Cinémathèque. » C'est alors qu'a débuté son épopée dans le monde du cinéma muet.
Avant chaque représentation, celui qui a été le pianiste officiel des Grands ballets canadiens répète un processus créatif particulier. Il écoute le film durant l'après-midi, s'en imprègne, pianote, puis c'est le grand soir. « Si je ne connais pas l'oeuvre, je vais lire à propos d'elle, pour en connaître le sujet, le contexte, qui était le réalisateur, qui étaient ses amis. Le soir venu, j'improvise à partir de ces connaissances », dévoile l'homme aux doigts agiles.
C'est ainsi qu'il a donné une voix au Fantôme de l'Opéra de Rupert Julian (1925), à Metropolis de Fritz Lang (1927) et à plusieurs films du cinéaste français Jean Epstein. Il est également chef d'orchestre de l'Octuor de France, une formation de musique de chambre, qui accompagne plusieurs films muets et compose autant des musiques de films que des opéras. Lors de ses voyages à l'étranger, c'est le jeune pianiste Roman Zavada qui le remplace à la Cinémathèque.
Les soirées hebdomadaires de fIlms muets accompagnés au piano sont une des signatures de la Cinémathèque québécoise, qui est le seul endroit à Montréal à offrir de telles représentations. Ajouter un accompagnement pianistique en direct allait de soi pour la programmatrice-conservatrice du cinéma international, Karine Boulanger, qui choisit les films muets qui seront présentés.
D'ailleurs, la popularité de ces soirées ne fait qu'augmenter depuis le triomphe du fIlm muet L’Artiste aux Oscars. C'est toutefois Hugo, un long-métrage en hommage au cinéaste français Méliès, qui a permis à la Cinémathèque de battre des records. « Nous avons présenté, en novembre dernier, la restauration du film muet Voyage autour de la planète (1902) de Méliès et une telle foule s'est présentée que nous avons dû refuser 100 personnes ! » s'exclame le directeur de la programmation et programmateur-conservateur du cinéma québécois et canadien de la Cinémathèque, Fabrice Montal. Ce dernier ne manque pas de louanger son pianiste en résidence. « Gabriel a une capacité remarquable de s'adapter à tous les types de films. » Selon le pianiste, c'est une habileté qu'il a acquise avec l'expérience. « Mon accompagnement est plus sobre qu'avant », témoigne-t-il, en avouant s'être souvent laissé emporter par ses émotions en début de carrière. « Je jouais comme un acteur. Maintenant, je suis plus détaché du film, ce qui me permet d'en capter les subtilités », dit-il en se remémorant ses souvenirs.