Serge Payette et la passion du Nord

Norman Gagnon, Autour de l’île, L’île d’Orléans, mars 2012

Lauréat du prix Marie-Victorin  2011, Serge Payette, professeur d'écologie végétale au département de biologie de l'Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche nordique en écologie des perturbations, a apporté une extraordinaire et singulière contribution à la connaissance des sols et du couvert végétal du Nord du Québec et du Labrador. Et c'est pour une carrière d'une exceptionnelle richesse, au cours de laquelle il a aussi dirigé le Centre d'études nordiques (CEN), qu'il a mérité récemment la bourse Killam et a été le premier lauréat du Prix de la famille Westoo pour l'ensemble de ses réalisations en recherches nordiques (2011 ).

Le professeur Payette a publié depuis les années 60 plus de 200 articles et ouvrages scientifiques portant sur plusieurs aspects de l'écologie végétale. Parmi ceux-ci, signalons La dendroécologie, premier ouvrage en français de cette jeune discipline, édité en 2010: un véritable traité qu'il a codirigé avec Louise Filion et qui réunit les travaux d'une quarantaine de chercheurs. Serge Payette habite avec sa compagne à Saint-Jean. Nous l'avons rencontré à son bureau de l'Herbier Louis-Marie à l'université, herbier dont il est le conservateur.

 

La passion du Nord

 

Il semble bien que cette passion, née à ses premiers contacts avec le nord dans les années 60 alors qu'il était fraîchement diplômé en agronomie, ne se soit en rien émoussée. Il y est retourné presque chaque année depuis- parfois même avec femme et enfants – et l'année en cours n'y fera pas exception: il devrait en effet s'y rendre avec quelques étudiants gradués dans le cadre de recherches portant sur la non-régénération des forêts les plus nordiques mais également sur les influences des changements climatiques sur le pergélisol.

 

Un constant d’ensemble

 

La longue carrière et l'expertise rare qu'elle lui a léguée permettent aujourd'hui au professeur Payette d'affirmer avec assurance que les champs de savoir qu'il a jusqu'ici étudiés apportent des contributions significatives à l'histoire du climat. Un exemple qu'il nous fournit est la disparition du pin gris de certaines régions du Nord dont la présence antérieure est révélée par des charbons de bois tirés du sol que l'on peut aujourd'hui identifier et dater par diverses techniques. Ce constat renseigne sur l'absence de feux de forêt dans ces régions puisque ces feux sont nécessaires à la régénération de l'espèce ; absence qui témoignerait, à son tour, de l'augmentation de la pluviosité en ces lieux depuis quelques millénaires. Ainsi donc, l'analyse de restes charbonneux provenant d'une autre époque permet d'obtenir des informations sur la végétation originale de même que sur les perturbations des écosystèmes survenues alors. Mais ces perturbations ne seraient pas le propre d'une histoire ancienne. Selon Serge Payette, au nord de 54e  parallèle, on a observé, depuis 1994 seulement, des hausses importantes de la température (+ de 2°C) et de l'humidité, ce qui se traduit par une maturation accélérée de certaines espèces d'arbres.

 

Flore du Québec-Labrador nordique

 

Le projet de publication de Flore du Québec-Labrador nordique, initié par Serge Payette dans les années 80 et dont le premier volume devrait paraître à l'automne, s'appuie sur les résultats de nombreuses campagnes de collecte d'échantillons menées dans le Nord québécois et au Labrador depuis plus de 40 ans par le CEN. Les publications seront élaborées à partir d'une banque de données constituée de descriptions et de photos de 90 000 spécimens nordiques provenant de l'Herbier Louis-Marie mais aussi de ceux d'autres universités québécoises et étrangères (Montréal, McGill et Cambridge Mass.), d'organismes gouvernementaux et du Musée canadien de la nature. En plus d'être unique quant à son aire d'investigation, l'originalité de cette publication, par rapport à ce qui s'est fait jusqu' ici en ce domaine, est qu'elle va fournir des cartes montrant la distribution géographique des espèces inventoriées et des commentaires relatifs à l'habitat et au domaine biogéographique. Un volet électronique de la publication papier prendra l'aspect d'un site internet donnant accès à la banque de données ; on pourra de plus y confectionner des cartes de répartition à la demande et y obtenir des détails morphologiques.

 

Un parcours vertigineux

 

Le parcours de Serge Payette a quelque chose de vertigineux. On s'étonne en effet qu'il puisse mener de front et avec succès une carrière de chercheur, d'enseignant, d'écrivain scientifique, d'initiateur de projets et de gestionnaire tout en conservant cette énergie communicative que nous avons pu toucher du doigt. L'explication est sans doute à chercher du côté de la passion!

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