Patente à gosse, barniques et cie.

Tuan Trieu-Hoang, L’Itinéraire, Montréal, le 15 mars 2012

Ousse que j'chu? Traduction : Où suis-je? Je suis arrivé au Québec en 1971 alors que le Stade olympique n'existait pas encore. Je parlais déjà français, mais un français différent de celui des Québécois, celui de la France. Je viens du Vietnam, qui a été, il y a fort longtemps, une colonie française appelée l'Indochine française.

Dès mon arrivée, les Québécois avec qui j'ai eu l'occasion de faire connaissance étaient pour la plupart accueillants. Cependant, je me suis vite heurté à un obstacle de taille: les différences linguistiques locales. Je n'arrivais pas à comprendre mes interlocuteurs! J'ai non seulement dû m'ouvrir à une nouvelle culture, mais j'ai aussi eu à apprendre une «nouvelle» langue. J'ai dû m'adapter à cette nouvelle réalité linguistique, et ce, en très peu de temps. Mes premiers mois dans la Belle Province ont exigé beaucoup d'efforts de ma part afin de saisir le sens des mots à travers les conversations. Si parfois je n'arrivais tout simplement pas à comprendre, il m'arrivait d'autres fois de devoir deviner ce que voulaient dire mes interlocuteurs. J'ai trouvé à la fois comique et intéressant ce mélange de vieux français et d'anglicismes qu'on appelle le joual.

C'était déjà compliqué de comprendre quelqu'un en personne, on peut donc imaginer la difficulté que j'ai eu à saisir ce nouveau langage lorsque j'ai dû répondre au téléphone un matin : « J'ai une job pour toé. Demain matin, tu pognes le bus su’l corner. Pis ensuite, rendu à la shop, demande au foreman de te faire puncher ta carte. Niaise pas avec la puck, sinon le boss va te clearer!» Oh boy! Du vrai charabia pour moi. Donc, à 6 h 00 du matin, je catch (prends) mon bus pour me rendre à la job (travail) vers 7h30. Je punch (poinçonne) ma carte à la shop (usine). Il y a deux break (pauses-café) par jour. Le shift de jour (quart de jour) se termine à 17h00. C'est le foreman (contremaître) qui décide de la «cédule» (ou schedule) (emploi du temps) des employés. Pour le nouvel arrivant que j'étais, chaque expression québécoise signifiait un sens au pied levé! «C'est écoeurant» voulait dire, au contraire, quelque chose de très bon. «Recevoir mon 4 %» signifiait pour moi que j'allais gagner un boni à la fin de la journée … alors qu'en réalité on m'annonçait sur un ton un peu moqueur qu'on n'avait plus besoin de moi!

Au fil du temps, j'ai donc développé un petit lexique qui m'a permis de mieux comprendre mes interlocuteurs québécois. J'y ai noté de nouveaux verbes comme «catcher», qui signifie comprendre, et «se faire slacker», qui veut dire être mis à pied. Certaines expressions étaient assez loufoques, comme la fameuse «patente à gosse» qui est une concoction dont on a peu confiance au résultat, ou encore, «t'as l'air de la chienne à Jacques» qui veut dire être mal habillé. J'ai souvent entendu « j'm'en vais watcher une game de hockey»; j'ai alors compris que les montréalais étaient des fans du Canadien! «Flusher son chum» signifie éconduire son amoureux. «Donner un lift à quelqu'un» veut dire aller déposer quelqu'un en voiture. J'ai aussi ajouté quelques nouveaux mots à mon lexique. Le mot «quétaine» veut dire démodé, un «tire» (prononcez tailleur) est un pneu et des «barniques» sont des lunettes. La liste continue … sans oublier tous les jurons à faire descendre les saints du ciel!

Ma présence en sol canadien se chiffrait maintenant en termes de mois, et plus le temps passait, plus le joual et toutes ses expressions prenaient place en moi. Si, à une certaine époque, j'étais peu convaincu face à ce «nouveau français», je regarde aujourd'hui à quel point la France s'anglicise … et je me console! C'est vraiment «cool» de votre part de m'encourager en lisant ma chronique!
 

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