L’art décloisonné

Sophie I. Gagnon, Graffici, Gaspésie, mars 2012

Si un rhinocéros de pierres broute dans la cour intérieure du Quai des arts de Carleton et que trois samares d'érable géantes tournent au gré du vent d'un centre de formation à Gaspé, c'est grâce à la « politique du 1 % », qui oblige à intégrer des oeuvres d'art aux constructions. Pour les artistes de la région, cette politique sert de tremplin, de vitrine et de défi.

« La poussée invisible a représenté un gros défi technique, mais ç'a été une opportunité de réaliser un superbe projet qui a su plaire aux termes d'un processus long et complexe!», raconte fièrement Marsel Ritchie. Le sculpteur de New Richmond a imaginé les trois samares d'érable mobiles qui colorent depuis quelques mois un mur extérieur du Centre québécois de formation en maintenance d'éoliennes, à Gaspé. L’oeuvre devait se mouvoir, refléter les valeurs éducatives et environnementales de l'institution, être liée à l'éolien et accessible au grand public. Un comité de sélection lié au lieu et aux arts détermine ces critères. L’architecte du bâtiment joue un rôle important pour déterminer quel type d'oeuvre peut s'intégrer le plus harmonieusement à la structure.

«J'ai dû inventer un concept, fabriquer une maquette, choisir des matériaux appropriés, présenter des plans et devis techniques et d'entretien, consulter un ingénieur, engager un machiniste pour dessiner et concevoir des ancrages, imaginer des éclairages non polluants, énumère M. Ritchie. Le tout dans les temps alloués et en respectant un budget qui devait aussi servir à me payer. .. », ajoute-t-il.

Depuis 1961, le gouvernement du Québec exige que tout édifice ou site public provincial (ou qui reçoit une subvention du provincial) réserve environ 1 % de son budget de construction à la réalisation d'une oeuvre de style contemporain conçue spécifiquement pour ce lieu. En Gaspésie, plus de cent oeuvres ont été intégrées à des hôpitaux, écoles, bibliothèques, centres culturels, postes de police et autres lieux publics. La majorité de ces créations sont. le fait de Gaspésiens, dont Suzanne Guité, qui a signé un premier aménagement artistique au Palais de justice de New Carlisle en 1965.

Maryse Goudreau, une photographe de Pointe-à-la-Croix, a été finaliste de trois concours pour ce type d'oeuvres. Ces participations l'obligent à transgresser ses principes créateurs. Difficile de cadrer dans les critères de sélection quand nos oeuvres sont imprimées sur papier, et souvent éphémères! «Il faut accepter d'adapter son talent à des règles strictes, affirme l'artiste. Ça nuit à ma liberté créatrice, mais le fait d'utiliser d'autres supports d'images, comme le métal, me pousse à me surpasser et me fait voir mon travail sous un autre angle.» Mme Goudreau apprécie aussi que ses efforts soient récompensés à l'étape de la maquette. «Nous sommes payés pour le temps investi dans sa fabrication. Ces maquettes deviennent une oeuvre en soi. Et puisqu'elles n'ont pas été retenues, je les ai recyclées pour une exposition. Ça aide à vivre de son art. »

Maryse Goudreau salue l'intégration de l'art actuel dans le paysage gaspésien, grâce à la politique du 1 %. Peu d'endroits offrent la possibilité d'exposer ce type d'art en Gaspésie. Le programme permet donc à des artistes de se faire voir !», lance-t-elle. Danielle Lachance a représenté le Cégep de la Gaspésie et des Îles, propriétaire du « bâtiment aux samares», au sein du comité de sélection. Elle abonde dans le sens de Mme Goudreau: «La singularité de l'art actuel rebute souvent le public habitué aux arts plus traditionnels. La facilité d'accès à ces œuvres uniques permet de démystifier l'art actuel. Les gens apprennent à le connaître à force de le côtoyer.» Mme Lachance souhaite qu'un plus grand nombre de Gaspésiens s'intègrent à la banque d'artistes professionnels de la région, qui en compte onze.

classé sous : Non classé