Mathieu Max-Gessler, La Gazette de la Mauricie, Trois-Rivières, février 2012
Alors que les usines de pâtes et papiers de la Mauricie périclitent depuis plusieurs années, certains entrepreneurs se sont tournés vers une autre façon de transformer cette ressource naturelle qu’est la forêt. Fait marquant, à Saint-Boniface, plusieurs entreprises et manufactures ont su faire de la menuiserie, de la sculpture du bois et de l’ébénisterie des créneaux rentables. Si plusieurs de ces entreprises sont encore à leurs débuts, d’autres sont présentes depuis plusieurs décennies et continuent à prospérer contre vents et marées.
Si dans le passé, nombre de Bonifaciens travaillaient dans les usines de Shawinigan, quelques-uns ont fait un choix différent: démarrer leur propre entreprise dans leur village natal. C’est ainsi qu’en 1967, Gérard Milette bâtissait à partir de rien ce qui allait devenir Portes Milette. L’entreprise connaît un rapide essor et dès la deuxième année d’opération, quatre employés sont engagés. Dans les années 70, la forte demande pousse M. Milette à bâtir deux usines et un entrepôt. En mars 1979, une tragédie frappe l’entreprise qui a récemment passé le cap des 10 ans d’existence. Un incendie réduit à néant les stocks de productions et la résidence de la famille Milette. L’entreprise se relève toutefois de cette dure épreuve et les années 80 lui ramènent la prospérité. Se démarquant de ses compétiteurs, Gérard Milette commence à distribuer ses produits à grande échelle, au Québec comme en Ontario. Dans les années 90, il s’associe à Home Dépôt et les portes de l’usine de Saint-Boniface sont distribuées à travers le Canada.
Pour suivre la demande, Gérard Milette n’a plus le choix: il doit agrandir. Plutôt quede s’établir dans un parc industriel, l’entrepreneur choisit de rester dans son village natal, d’où provient la majorité de ses employés. Une décision courageuse selon sa fille, Sophie Milette, directrice des ressources humaines chez Portes Milette. «Ç’aurait été logique de s’installer dans un parc industriel mais mon père est natif de Saint-Boniface, il y a toujours habité et pour lui c’était essentiel d’y rester, explique-t-elle. C’était beaucoup plus compliqué, il a fallu tout défricher, c’était un champ. C’est un choix sentimental qu’il a fait.»
Aujourd’hui, l’entreprise s’est scindée en deux divisions. Portes Milette, avec ses 120 employés, fabrique et distribue ses portes à travers le Canada. Gérard Milette portes et fenêtre, le magasin au détail qui fournit du travail à 30 personnes, est désormais la propriété de Sophie Milette et de son conjoint. «Ça fait plusieurs années qu’on travaille pour le transfert des connaissances, avec mes deux frères, explique Mme Milette. L’objectif, c’est que mon père puisse continuer à travailler, mais par choix. Il est toujours très présent, il est président de l’entreprise à 69 ans. L’été il va jouer au golf, il vient faire son tour, il voit ce qu’on fait, il nous conseille. C’est un bel équilibre.» Un autre entrepreneur qui a su se tailler sa place à Saint-Boniface est Pierre Houle. Née de sa passion pour le travail du bois alors qu’il était encore étudiant, son entreprise est passée de modestes installations de sous-sol à un atelier qui permet de créer une vingtaine d’emplois. C’est toutefois le hasard qui l’a conduit à se spécialiser dans la fabrication d’escaliers, explique son fils Jean-François, qui travaille avec lui depuis 10 ans. «Un contacteur est venu le voir pour lui proposer de faire des escaliers, raconte-t-il. Même s’il ne savait pas comment faire, il s’est renseigné et a appris par lui-même, comme il a toujours fait.»
Avide de défi s, Pierre Houle gère de A à Z la chaîne de production de ses escaliers, du sciage à l’installation en passant par le vernissage, à l’exception du séchage du bois, qu’il fait faire ailleurs. À l’instar de Gérard Milette, le Bonifacien a su transmettre sa passion à ses enfants, Jean-François et Nancy, qui se préparent à prendre la relève de leur père dans un proche avenir… mais pas encore immédiat! «La transition, on y pense depuis déjà plusieurs années et on sait que ça va se faire éventuellement, mais Pierre Houle reste le président directeur général», explique Jean-François.
Arrivé au Québec en 2005, Eduardo Bassino, Uruguayen d’origine, n’a guère attendu avant de se lancer à nouveau en affaires, cette fois dans son pays d’accueil. Résidant de Shawinigan depuis trois ans, l’ébéniste de formation a ouvert son propre atelier sur le territoire de Saint-Boniface en mars dernier. «Je cherchais un atelier près de l’autoroute, dans un lieu passant, assez grand et déjà équipé, explique-t-il. Ici, c’est un ancien garage de débosselage qui a passé au feu en 2000. Le propriétaire a reconstruit le bâtiment en mieux, mais ne l’a jamais utilisé, alors tout était encore neuf.» Profitant du matériel à sa disposition, M. Bassino offre ses services de conception et d’aménagement intérieur, en plus de produire meubles, portes et autres produits du bois. Malgré la présence de gros joueurs comme Portes Milette et d’autres compétiteurs en ébénisterie, le Mauricien d’adoption n’a aucun mal à tirer son épingle du jeu. «Dans les produits en mélamine, oui, il y a de la compétition, reconnaît-il. Mais je me suis spécialisé en optimisation d’espace et je fais des produits sur mesure, selon ce que les gens me demandent. Je travaille directement avec mes clients.» Malgré un fort ralentissement dans le secteur de la construction résidentielle en 2011, force est de constater que le travail du bois à Saint-Boniface continue à rapporter, grâce à un ingrédient bien particulier: la persévérance.