Christine Portelance, Le Mouton NOIR, Rimouski, janvier-février 2012
…un vrai Québécois, ? c’t’un communiste de cœur, ? c’t’un socialiste d’esprit, ? pis c’t’un capitaliste de poche. – Yvon Deschamps
Qui suis-je ?
J’aime les avions de combat, les parades militaires et le cliquetis des portes qui se referment. Quoi de plus réjouissant que d’envoyer plus de jeunes contrevenants en prison. Plus de prisons = création d’emplois. Et si on arrive à produire vraiment beaucoup de criminels, les gens finiront bien par réclamer la peine capitale.
Sorry, I don’t understand the question. I shall learn French soon.
MOI, je suis bon stratège. JE martèle un argument simple que tout le monde comprend, « il faut laisser faire la police» par exemple. Ensuite, il suffit d’attendre qu’un événement médiatique détourne l’attention du bon peuple. Des fois ça marche, des fois non. N’eût été la sortie du Barreau juste avant mon congrès libéral, avec le grabuge causé par les fiers-à-bras sur les chantiers le lendemain du congrès, mon simulacre de commission aurait très bien pu passer. Bon, quand ça ne marche pas, on s’adapte et on laisse couler… le ministre responsable bien entendu.
Sorry, I don’t understand the question. I shall learn French soon.
Je fais du patronage avec les places en garderie. Quand on demande à un ministre de récolter 100 000$ pour le parti, il faut bien moyenner…
MOI, je ne suis pas fine stratège. On dit que j’aurais vendu mon âme pour un amphithéâtre. Pourtant, l’idée me semblait bonne sur papier ? : on gagnerait des votes à Québec tout en flattant Quebecor dans le sens du poil. Qui peut gagner des élections sans Quebecor ? JE veux le premier rôle. MOI c’est le seul rôle qui m’intéresse. Ce serait le couronnement de ma carrière.
J’ai voté NPD. J’avais besoin d’un changement d’air et d’un bon Jack. Il n’y a plus de bloquistes pour faire entendre la voix du Québec à Ottawa ? C’est MOI qui ai choisi de voter NPD, les autres, ils n’avaient pas d’affaire à voter comme MOI !
JE suis un gouvernement majoritaire. Le Parlement, quelle perte de temps puisque c’est MOI qui décide ! Les 60% qui n’ont pas voté pour MOI ? Ce n’est pas MON problème. Attendez que je décapite Radio-Canada, il n’y en aura plus de journalisme d’enquête. Ah, j’aime la démocratie monarchique !
Viré. Après toutes ces années de loyaux services. Blessé. Profondément. J’entends aujourd’hui l’appel des sirènes. Surtout résister. JE suis sexxxy… On vient de refaire mon image à la télé. Je suis minérale maintenant. On croirait même que c’est bon pour la santé. Attention ? ! Vous allez vous faire fourrer… Mais on va s’arranger pour que vous ayez l’impression d’aimer ça. MOI je suis une victime de la mondialisation. Un jour à New York, j’ai éjaculé, et la nouvelle s’est répandue. Pas un bled sur la planète qui n’ait appris la chose. Ma réputation éclaboussée. Ma carrière politique fichue en l’air.
JE sais gérer une entreprise MOI. Le Québec, c’est comme une grosse business qui se serait diversifiée. Regardez-moi aller. Et vous ne pourrez pas dire que vous n’avez pas voté pour ça.
JE suis le grand Vicaire des gaz de schiste ? : en vérité, en vérité, MOI, je vous le dis… MOI je veux moins d’État, moins de taxes, moins d’impôt, mais plus de services. Et je vais croire quiconque va me le promettre.
Sorry, I don’t understand the question. I shall learn French soon.
MOI je veux un emploi stable, un revenu en croissance. Pour MOI, pas pour les autres. Je trouve les syndicats inutiles ? : la sécurité d’emploi, c’est toujours pour les incompétents.
J’aime beaucoup Amir Khadir, mais MOI, je ne voterai jamais Québec Solidaire. Ce serait bien que d’autres le fassent, Amir donne toujours un bon show ? !
MOI je n’ai pas d’enfant, je suis jeune et en santé. Pourquoi est-ce que je paierais de ma poche pour les élèves, les vieux et les malades ?
MOI je veux que les boomers libèrent la place au plus vite, mais JE trouve inadmissible que MA génération doive « supporter » autant de personnes qui ne travaillent plus. MOI je veux un beau char, une grosse job, une belle maison. Finir le secondaire ? Ah non ? ! Moi je vis sur la planète Facebook et j’ai tant d’amis… MOI ? je sais pas… je m’occupe pas de ces affaires-là.
En 2011, il y a toutefois ce NOUS arabe qui a envahi les rues en Tunisie, en Égypte, au Yémen, en Libye, en Syrie, pour tenter l’impensable ? : dégage Dictature ! Il y avait longtemps qu’on avait vu ce qu’est le courage de prendre son destin en main. Vous souvenez-vous de la Pologne ? Le yes we can n’est pas venu où nous l’attendions. Existe toujours cependant une poudrière au Moyen-Orient, la faction politique qui dit MOI Israël.
En Europe, un NOUS émerge avec le mouvement des indignés, qui se répand en Amérique avec Occupy Wall Street. On leur reproche de n’avoir point de leader, d’être incapables de formuler des objectifs clairs. Or quand on a la volonté de former les 99 % en révolte contre le 1 % contrôlant la planète, ce serait insensé de prétendre à une voix unique.
Et s’il ne s’agissait que de comprendre que la croissance illimitée est une utopie, une illusion entretenue par des hurluberlus accros aux profits excessifs et qui ont absolument besoin de leur dose quel que soit le prix social ou environnemental. Il serait peut-être temps de tirer la « plug » de leur machine à sous. Les lois du marché n’ont rien de scientifique, ce ne sont pas des lois immuables, comme la gravitation, rien ne nous oblige à y adhérer. La financiarisation de l’économie est une fiction où l’émotion est plus active que la raison. Des profits toujours plus élevés pour le 1% ne sont possibles qu’à condition que les 99% acceptent un endettement toujours de plus en plus grand. NOUS pourrions décider de ne plus former un troupeau de consommateurs bien dressés. On pourrait commencer par dire NON. Et ça, on peut le dire d’une pluralité de voix.
Certes le chaos effraie, mais comme il semble qu’on n’y échappera pas parce que le capitalisme sauvage s’est emballé dans sa propre logique, peut-être vaudrait-il mieux choisir le chaos qui donne l’espoir de sortir du bourbier. Et entre deux utopies, choisir la meilleure pour tous. Mais 99 %, ça fait beaucoup de je me moi…
Et si en 2012 on commençait à rêver d’un monde autre, vers lequel on marcherait un pas à la fois. Un monde de liberté… et de responsabilités à 99%.