Martine R. Corrivault, La Quête, Québec, novembre 2011
Il nous faudrait un Plan Nord pour le Sud ! Cette boutade traduit l'exaspération de bien des Québécois ces derniers temps et notre pauvre premier ministre n'arrive pas à faire voler son ballon vers l'avenir. Le climat nauséabond créé par les affaires entourant la corruption autour des entreprises liées à la construction n'arrange pas les choses. Mauvais timing pour s'envoler au pays des rêves, dirait l'autre.
Il y a trois ans, quand il formulait son rêve d'un Plan Nord pour le développement des territoires nordiques du Québec, le premier ministre Charest croyait peut-être mobiliser ses concitoyens et allumer un grand feu de joie d'enthousiasme autour de son idée, mais, il a manqué son coup. Malgré les quelques précisions apportées et la « capiteuse » campagne de promotion amorcée pour vendre le projet, malgré une tournée européenne pour le financer, le scepticisme règne.
On ne croit pas le slogan qui voudrait en faire « le chantier d'une génération » comme ont pu l'être les projets hydroélectriques de la Manic et de la Baie-James du dernier demi-siècle. Pourquoi ? Parce que l'Eldorado des uns n'est pas celui des autres. Parce que des familles se souviennent des déracinements, des séparations, des conséquences. Parce qu'on voit ce qui nous reste quand les exploiteurs de richesses naturelles ont vidé les territoires. « Pas d'argent pour réparer les écoles, faire le ménage dans les hôpitaux, enfermer les bandits qui nous volent, mais imbattables pour nous faire de la broue et essayer de nous noyer dedans ».
Ils voient trop petit, les Québécois ? Ils deviennent plutôt méfiants. Les grands projets peuvent encore les emballer, mais les gens n'aiment pas la sensation qu'on cherche à les « enjirouaper », comme dirait Yves Beauchemin. Sentir qu'on veut encore les « rouler dans la farine » pour les cuire sur un feu de camp, au nord du 49e parallèle !
Quiconque a emprunté la route de la Côte-Nord, sait que le développement issu des grandes idées d'hier s'y est arrêté en chemin. On comprend le cercle vicieux à l'origine du problème quand on découvre que les rares infrastructures de communication font grimper le prix des denrées, au point de donner l'impression de vivre sur une autre planète. Nos élus semblent ignorer que l'exclusion est d'abord économique. Que la rationalisation telle que conçue dans les bureaux des fonctionnaires à Québec, Ottawa ou St-John's a des conséquences dramatiques si on l'applique aux régions isolées.
Quand un titre de transport à l'intérieur de la province vous coûte plus cher qu'un aller-retour vers les Caraibes ou l'Europe, l'appartenance devient une abstraction et la fierté d'être Canadien ou Québécois onéreuse. Quand bien même en territoire dit développé, lorsqu’une femme enceinte doit néanmoins quitter son monde pendant des semaines pour recevoir des soins et accoucher, on se demande où est le « développement » promis. Même chose quand les élèves grandissent en région modulent rêves ambitions en fonction des cours disponibles dans les écoles du coin.
Que faut-il comprendre quand « ils » décident d'effacer votre circonscription de la carte, comme si tout le monde ne payait pas les mêmes impôts pour des services qui ne sont plus disponibles chez vous ? Le fameux « chantier d'une génération », c'est dans les officines gouvernementales qu'il faudrait le lancer ! Admettant que la distance crée des inégalités territoriales et que la décision de vivre ailleurs qu'en ville reste un choix personnel, tout projet de développement devrait en tenir compte sans pénaliser ceux qui le font. Le Plan Nord reste discret là-dessus et paraît ne miser que sur une couple de décennies. Qu'arrivera-t-il après, quand l'État qui vous incite à partir afin de réaliser ses objectifs, retirera ses billes du jeu ?
L'histoire récente nous apprend que les retours au Sud, les grandes migrations vers les villes coûtent cher et s'imposent quand le développement s'arrête à mi-chemin.