Au Caveau-Théâtre de Trois Pistoles : Les menteries d’un conteux de basse-cour : drôle et touchant

Marjolaine Jolicoeur, L’Horizon, MRC des Basques, août 2011

Victor-Lévy Beaulieu nous amène dans un voyage dans le temps avec sa nouvelle pièce Les menteries d’un conteux de basse-cour. Du temps où il existait des beurreries à Saint-Paul de-la-Croix et des familles de onze enfants dans le rang de la Rallonge à Saint-Jean-de-Dieu. Où les animals venaient mettre un peu de lumière dans l’obscurité de ce monde dur, misérable mais capable aussi de danser sur des réels tristes et désespérés.

Reprenant souvenances et anecdotes tirées de Race de monde et de Ma vie avec ces animaux qui guérissent, Abel Beauchemin, l’alter-ego de VLB, raconte sa jeunesse mais aussi la drôle de vie de ses mononcles et de ses matantes. De sa marraine blême comme un drap qui « a passé sa vie enfermée dans sa chambre à regarder drette devant elle », à boire du thé et des biscuits Village. Ou de son grand-père Antoine, forgeron et acrobate, aux bras d’acier. Ses parents, silencieux dans leur misère, tournaient le dos aux enfants : « Ils parlaient pas quand j’étais petit et ils parlaient pas plus quand j’étais plus grand. » Une famille aux péripéties rurales dignes de l’émission les Arpents Verts, « de quoi devenir schizophrène ou écrivain, ou bedon les deux en même temps. »

Abel rit mais aussi boit et sanglote quand il se rappelle ces animals qui ont jalonné son enfance, victimes innocentes de l’inconscience des humains. De ce « tout petit chien, tout noir avec les oreilles blanches, avec des grosses pattes comme j’en avais en venant au monde », devenu sourd et aveugle à cause d’un orage et qu’il berce tendrement pour l’apaiser. Souvenirs touchants de ces canards apprivoisés mais surtout de son ami le petit cochon. « On se racontait des histoires… quand on serait deux grands dieux des routes et qu’on ferait le tour du monde ensemble. » Mais la vie peut être cruelle autant pour les enfants que pour les cochons. « Ils l’ont égorgé, ils l’ont découpé en morceaux, ils l’ont vidé de son sang », pleure Abel en noyant son chagrin dans la boisson et en maudissant ceux qui ont tué son animal pour le manger.

On pense à Leon Tolstoï qui écrivait, après la visite d’un abattoir : « Ces hommes étaient plus préoccupés par des problèmes d’argent et de calculs. Toute pensée, à savoir s’il était bien ou mal de tuer ces animaux, était aussi loin de leur esprit que de savoir la composition chimique de tout le sang qui recouvrait le plancher. »

Cette fabuleuse galerie de personnages prend forme sous nos yeux grâce à Jean Maheux, comédien exceptionnel, mais aussi danseur de rigodon à la belle voix de baryton. Sa danse imaginaire avec l’ami cochon est un délicieux morceau d’anthologie, surréaliste et touchant. Ce long monologue à la parlure du Bas-du-Fleuve prend toute sa dimension lyrique grâce à son charisme et à sa présence scénique. A la fois comique et tragique, bougeant avec aisance et complice avec le public, Jean Maheux offre là une performance remarquable. Il est secondé par deux jeunes ettalentueux musiciens personnifiant les parents d’Abel au temps de leur jeunesse, Isabelle-Cadieux-Landreville et Félix Charbonneau.

L’histoire d’Abel se termine joyeusement. L’amour de ses animals l’a aidé à arrêter de boire et il danse en affirmant « Je suis heureux ! ». Heureux malgré la lumière noire de ses souvenirs. Au Caveau-Théâtre, du mercredi au samedi, jusqu’au 21 août.

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