Michel-Pierre Sarrazin, Ski-se-Dit, Val-David, août 2011
À La Chaumière Fleur-Soleil, Amira et Jacques Deguire cultivent, outre les plantes comestibles, médicinales et d’impressionnants jardins fleuris, une communauté de vue et de fait avec les abeilles. Et ce depuis huit ans, alors qu’ils décidaient d’ouvrir leur maison au partage.
On le sait, les abeilles sont une espèce menacée. On cite souvent Einstein qui disait que si les abeilles venaient à disparaître, l’homme n’en aurait plus pour longtemps sur cette planète. Il ne s’agit pas là d’arguties tripatives mais de faits scientifiques : le tiers des aliments que nous mangeons dépend du travail des insectes pollinasateurs, dont les abeilles sont les principales représentantes. Depuis une vingtaine d’année, les abeilles meurent par colonies entières. Le « syndrome d’effondrement des colonies » affecte le Québec dans une proportion de 40 à 50 % depuis 1987. Les causes en sont multiples : perte d’habitats et de biodiversité dûes à l’expansion de l’agriculture industrielle (monoculture), utilisation massive des pesticides et des organismes génétiquement modifiés (OGM), importation par le transport commercial international d’agents pathogènes tels que le varroa, un puceron qui tue les abeilles et causerait des pertes importantes au Québec depuis 2003.
À Val-David, Jacques Deguire n’a pas attendu que les gouvernements sonnent l’alarme pour agir. Ski-se-Dit lui a demandé d’expliquer sa démarche et son projet de coopérative. En 2001, j’ai suivi une formation en apiculture au Centre de formation du ministère de l’agriculture à Mirabel après avoir senti l’appel d’avoir des abeilles dans mes jardins. Une bonne partie de la formation théorique de l’époque était sur les problèmes de maladie chez l’abeille. J’ai commencé avec 2 colonies et, à chaque année depuis, le nombre a augmenté pour atteindre maintenant 20 colonies depuis 2 ans.
Comme je faisais de l’apiculture pour mon plaisir au début, après 10 colonies j’ai commencé à trouver ça lourd. J’ai eu des amis qui m’ont secondé dans mes visites hebdomadaires, l’été, pour quelques années. Mais il y a deux ans, j’ai formellement exprimé mon besoin d’assistance lors des marchés d’été de Val-David, auxquels je participe et où distribue mon miel depuis près de 8 ans.
En 2009, j’ai eu deux stagiaires, l’une de Sainte-Lucie et l’autre de Sainte-Adèle. Cette année, ce nombre a augmenté à cinq. Trois d’entre eux ont démarré deux colonies d’abeilles chez eux, à Sainte-Lucie, Val-David et Val-Morin. Deux autres stagiaires de Sainte-Adèle et de Saint-Adolphe-d’Howard songent à démarrer avant la fin de l’été leurs colonies d’abeilles. Pourquoi au moins deux à la fois ? Parce que cela permet de comparer le comportement ou la capacité d’une reine et sa colonie face à une autre dans un même environnement.
En mai 2011, j’ai lu dans le bulletin Zoosanitaire, article no. 76, du ministère de l`Agriculture, Pêcheries et Alimentation du Québec (MAPAQ), que l’on constate une nette augmentation du nombre d’apiculteurs enregistrés au Québec cette année, comparativement aux années précédentes. Cette augmentation serait due à la couverture médiatique dont bénéficie le secteur apicole, et attire donc plusieurs nouveaux producteurs. Je savais que j’étais déjà dans ce mouvement de repopulation des abeilles dans les basses Laurentides.
Ce qui m’anime en ce moment est la création d’une coopérative de solidarité de petits apiculteurs dans la région environnante de Val-David. Pourquoi ? Parce que nous pouvons contribuer, ici, à protéger et à recréer pour l’abeille un milieu sain par la pollinisation de nos arbres fruitiers et de nos jardins, dans un environnement libre de produits toxiques. Parce que nous pouvons contribuer à une autonomie agricole locale et nous aider nous-mêmes à sortir de la dépendance pétrolière et d’une agriculture qui en est l’esclave. Et en ce qui me concerne, parce que le partage de connaissances est ce qui m’anime le plus dans la vie.
Créer une coopérative me paraît être une méthode plus économique et plus rentable de partager les coûts d’exploitation et d’entretien d’un rucher. Il faut un bâtiment et des équipements apicoles pour le traitement et le stockage du miel. L’investissement pour un débutant requiert un minimum de 600 $ pour établir deux colonies d’abeilles avec le matériel nécessaire et les vêtements de protection.
L’abeille est en difficulté partout sur cette terre et particulièrement en Occident depuis que l’homme en a fait un outil d’exploitation par ses méthodes d’agricultures modernes. Transporter des colonies d’abeilles sur des milliers de kilomètres pour polliniser des arbres ou des plantations, les exposer aux pesticides et aux produits toxiques des arrosages, leur procurer une monodiète périodique et transporter les sujets malades à travers un continent sont là des aberrations qui sont à la source de l’effondrement des colonies et de la mortalité épidémique chez ces ouvrières constantes et fragiles.
Les gens me demandent souvent, au marché d’été, comment vont nos abeilles. Je ne peux que leur répondre que nous travaillons avec elles comme avec la communauté, en équipe. Nous cherchons à leur procurer un environnement idéal pour leur santé, une stabilité de lieu en cultivant une variété étendue de plantes sauvages et médicinales.
La vétérinaire du MAPAQ qui a fait une inspection sanitaire complète de notre rucher l’an dernier a rapporté un bilan de santé exemplaire pour nos abeilles. Elle a dit n’être pas surprise de ce résultat, compte tenu de « l’environnement paradisiaque», selon elle, où elles butinent. Aujourd’hui, j’échange mes connaissances et mon expérience de l’apiculture avec mes stagiaires. J’aide à l’entretien et à l’inspection des colonies. J’aime partager ce que j’ai appris et je reçois ainsi l’aide dont j’ai besoin pour entretenir notre colonie de vingt ruches, de sorte que l’apiculture reste pour moi un plaisir et non une tâche supplémentaire.
La Chaumière Fleur Soleil est un lieu où ressourcement et échange de connaissances est un mode de vie. Nous partageons avec nos invités notre expérience de l’agriculture, de l’herboristerie, de l’apiculture. Nous offrons de la formation pour les premiers soins, les soins-thérapeutiques, la santé dans tous ses aspects. En somme, nous travaillons, comme nos abeilles, au partage raisonnable et responsable de notre environnement, dans le respect attentif de notre Terre.