Émilie Clavel, L’Itinéraire, Montréal, le 1er décembre 2010
Desservant un territoire fortement touché par la pauvreté et l’itinérance, le Centre-Sud de Montréal, le quartier Centre de santé et des services sociaux (CSSS) Jeanne-Mance doit composer avec une clientèle peu encline à fréquenter les établissements de santé traditionnels. L’institution n’hésite pas à aller rencontrer ces personnes plus vulnérables directement sur le terrain pour leur offrir une aide individualisée.
Assis à une table près de la fenêtre dans un petit café d’Hochelaga-Maisonneuve, Francis parle avec entrain, ponctuant ses propos de gestes amples et de petits rires. Au premier abord, rien ne laisse transparaître son secret. Pourtant – il jette un coup d’œil nerveux autour de lui avant de l’avouer – Francis vit chaque jour avec le spectre du VIH. S’il soutient aujourd’hui avoir accepté sa maladie, c’est en grande partie grâce au soutien de l’équipe de la clinique Infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) de CSSS Jeanne-Mance.
Lorsqu’il a appris à l’âge de 35 ans qu’il était séropositif, le serveur raconte avoir tout fait pour conserver sa vie normale. « Au début, j’ai voulu me débarrasser de tout ça, faire comme si de rien n’était. C’est important pour moi de ne pas changer le gars que j’étais. » Cependant, il réalise vite qu’il aura besoin d’aide pour « apprendre à apprivoiser la vie qui continue ».
Il se présente donc au Centre local de services communautaires (CLSC) des Fabourgs où l’on le dirige vers Nathalie Boies, une intervenante psychosociale du service de dépistage et de prévention des ITSS. Francis soutient que, sans appui de cette intervenante, sa vie ne serait pas la même aujourd’hui. « Nathalie a été mon principal soutien. Grâce à elle, je me sentais moins seul avec ma maladie. »
Si Francis a choisi lui-même de demander de l’aide, Janis Hamel, chef de programme à la clinique ITSS du CSSS Jeanne-Mance, rappelle que ce n’est pas le cas de tout le monde. « Pour différentes raisons, il y a des gens qui n’ont pas le réflexe de venir dans les CLSC. Notre priorité, c’est d’aller rencontrer ces personnes plus vulnérables dans leur milieu pour faire de la prévention et du dépistage », explique-t-elle. Le CSSS Jeanne-Mance est celui ayant le plus haut taux de prévalence des ITSS sur son territoire, avec 145 personnes infectées pour chaque tranche de 100 habitants.
Pour rejoindre une plus grande partie de cette clientèle, la clinique ITSS travaille en partenariat avec plusieurs organismes communautaires de la région, comme Cactus Montréal et le Ketch Café. Une collaboration essentielle, selon Janis Hamel : « En allant rencontrer les personnes à risque dans les organismes communautaires qu’ils fréquentent et où ils se sentent à l’aise, on bâtit un lien de confiance avec eux. » Ultimement, l’objectif de la clinique est d’amener la clientèle plus marginale à fréquenter les CLSC sans s’y sentir jugée ou exclue.
Francis, désormais en couple avec un homme qui connaît et accepte sa maladie, se dit éternellement reconnaissant pour les services dont il a bénéficié au CLSC des Faubourgs. « Les rencontres m’ont donné le temps d’apprivoiser le VIH. Je ne sais pas si on peut l’accepter, mais en tout cas. On apprend à vivre avec. Et la vie est belle quand même. »