Bernard Jolicoeur, Le Trait d’Union du Nord, Fermont, le 4 octobre 2010
Que doit-on penser de cette soudaine ruée vers les gaz de schiste dont on n’avait jamais entendu parler jusqu’à tout récemment ? C’est comme s’il fallait absolument et de toute urgence exploiter cette source d’énergie qui dort dans la roche depuis des millénaires. Le trésor risque-t-il de s’envoler soudainement sans crier gare ? Plutôt louche vous en conviendrez… à tout le moins suffisamment pour piquer ma curiosité.
Qu’en est-il au juste ? En géologie 101, on apprend que les schistes sont des roches sédimentaires formées par compression de particules au fond de mers anciennes et que, notamment, elles tapissent une bonne partie du sous-sol de la vallée du Saint-Laurent. Les schistes sont relativement faciles à caser et on sait depuis fort longtemps qu’à de grandes profondeurs, ces formations rocheuses peuvent contenir des cavités, des poches dans lesquelles on retrouve du gaz naturel en quantité appréciable. Ce n’est que tout récemment que les techniques de fragmentation de cette roche permettent de libérer les fameux gaz ont été mises au point. Mais le sont-elles vraiment ? Là où le bât blesse, c’est que le sous-sol contient aussi des grandes réserves d’eau, les aquifères, dont plusieurs servent à approvisionner des communautés entières en eau potable. Qu’arrivera-t-il si le pétard censé libérer les gaz du schiste permettait à ces derniers de se répandre dans la nappe phréatique ?
L’expérience de la Pennsylvanie
C’est malheureusement ce qui s’est produit en Pennsylvanie où les premières tentatives d’exploitation des gaz de schiste ont viré à la catastrophe. Certaines scènes plutôt spectaculaires circulent sur YouTube où l’on voit par exemple quelqu’un transformer son robinet d’éviter en véritable torche. N’oublions pas non plus tous les produits chimiques nécessaires au procédé et qui risquent de polluer l’environnement.
Zones instables dans St-Laurent
Au surcroît, la vallée du St-Laurent comporte de nombreuses zones d’argiles instables qui risquent de s’affaisser si des charges d’explosifs détonent à proximité. Rappelons-nous cette maison qui s’est enfoncée dans la boue en Montérégie au printemps dernier, tuant du coup quatre personnes. Tout cela fait partie des risques potentiels associés à l’exploitation des gaz de schiste.
Un lobby puissant
Les tenants de l’exploitation des gaz de schiste constituent un lobby puissant et ils ont choisi tout un vendeur pour faire la promotion de leurs intérêts. Il s’agit de M. André Caillé, ancien président de Gaz Métropolitain et ensuite d’Hydro Québec pendant plusieurs années. Devinez ce que M. Caillé disait du gaz naturel quand il était président d’Hydro Québec… Puis, tout à coup, il revient en surface comme président de l’association des compagnies de l’industrie gazière et pétrolière pour tenter de convaincre le public du bien-fondé d’exploiter cette manne.
Population méfiante
On aura beau invoquer que toutes les précautions seront prises, les bévues de la Pennsylvanie et la récente catastrophe du golfe du Mexique ont donné bien mauvaise presse à l’industrie gazière et pétrolière et le public se méfie, je le crois bien, à juste titre. N’oublions pas non plus les fameux sables bitumineux de l’Alberta qui souillent non seulement l’environnement mais également l’image du Canada à la grandeur de la planète. Vraiment, l’industrie pétrolière et gazière n’a pas bonne presse par les temps qui courent.
Un moratoire pour certaines régions
La première soirée de promotion et d’information organisée par M. Caillé et ses acolytes à Bécancour a attisé les passions des opposants et, dans les jours qui ont suivi, le gouvernement du Québec a compris qu’il valait mieux mettre le couvercle sur la marmite en décrétant un moratoire. Pour le moment, ce moratoire concerne tant l’exploration que l’exploitation et s’étend du lac St-Pierre à l’île d’Antiscoti. Espérons qu’il s’étendra bientôt au golfe de St-Laurent pour protéger le vulnérable secteur des Îles-de-la-Madeleine près desquelles se trouve le fameux gisement Old Harry.
La nécessité d’exploiter ces gaz ?
Bien sûr, il faut stimuler l’économie et créer de l’emploi, mais pas à n’importe quel prix. Les ressources énergétiques constituent un bien public et leur exploitation doit servir les intérêts de l’ensemble des citoyens et non pas des seules compagnies qui en tireront de grands profits. Voulons-nous prendre le risque de voir le St-Laurent devenir un 2e golfe du Mexique ? Avons-nous vraiment besoin d’une nouvelle source d’énergie alors que nous avons déjà suffisamment d’électricité pour en vendre à nos voisins ?
Comme le disait un sage observateur, au moment où l’on se préoccupe justement de la production de gaz à effet de serre générée par la combustion d’hydrocarbures, la dernière chose dont nous ayons besoin est une nouvelle source de gaz naturels à brûler pour aggraver encore ce problème. Ultimement, il vaudrait peut-être mieux laisser dormir ces gaz-là où ils se trouvent depuis des millénaires… c’est-à-dire dans les schistes !