Bisbille rurale

Pierre Duhamel, l’Itinéraire, Montréal, le 1er août 2010

L’image, qui remonte à la nuit des temps, est fortement imprégnée dans l’imaginaire collectif. C’est celle du brave agriculteur qui, à la sueur de son front, assure notre subsistance. Ajoutez à cela un brin de collectivisme irrésistible pour une certaine gauche urbaine, le fantasme d’une autarcie alimentaire chère à certains milieux et la surreprésentation des circonscriptions rurales dans les deux parlements et vous avez tous les ingrédients d’une politique agricole qui trait les consommateurs et qui plume les contribuables.

Le conflit autour du programme d’assurance stabilisation des revenus agricoles géré par la Financière agricole illustre bien non-sens des politiques agricoles. On comprend tous la pertinence d’un programme d’assurance. Il est légitime qu’un agriculteur veuille s’assurer contre des pertes attribuables aux conditions climatiques. Le programme de la Financière agricole va beaucoup plus loin, car il comble l’écart entre les coûts de production des agriculteurs et les prix du marché.

En clair, ce programme soustrait la production des agriculteurs et les prix du marché. La production de viande porcine diminue en Amérique du Nord depuis quelques années parce que la demande est moins forte. Pas au Québec, où la production est à la hausse. On produit plus de porcs aujourd’hui qu’en 2001, même si le prix de 100 kg est passé de 208,58 dollars à 156,05 dollars.

Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que les producteurs n’ont pas à se soucier de données aussi terre-à-terre que leurs coûts de revient, la demande pour leur viande et le prix obtenu sur les marchés. C’est plus payant pour eux de produire davantage, quitte à contribuer à la baisse des prix, parce que la Financière agricole va finir par payer la différence.

La Financière agricole, c’est nous. Elle est financée dans une proportion de 60 % par les contribuables, le reste venant de la poche des adhérents. On ne parle pas ici de petite monnaie. En 2009, la Financière agricole a encaissé un manque à gagner de 1,75 milliard de dollars. Elle a versé 836 millions de dollars en indemnisation à des producteurs, dont 433 millions à l’industrie porcine. Quatre-vingts pour cent de cette somme a été versé aux plus gros producteurs.

Le gouvernement du Québec trouve que cela commence à lui coûter cher. Il veut plafonner les compensations à 630 millions de dollars. Il exige que la Financière s’autofinance et que le quart des fermes les moins performantes soit exclu du calcul des coûts de production moyens. Cela m’apparaît approprié, bien que timide. La réaction de l’UPA est à la hauteur de ce que l’on attend de l’UPA. Son président trouve cela « insultant pour les producteurs », il craint que l’industrie se « déstructure » et parle d’un « coup de massue ». En interview à La Presse, le président de la Fédération des producteurs de porcs jure que les prix raffermissent et que la situation s’améliore. Depuis 20 ans, il n’y en a que deux où les producteurs de porcs n’ont pas fait appel à l’assurance agricole.

Il est temps que l’UPA perde son monopole absolu sur les questions agricoles. J’espère que le nouveau Conseil des entrepreneurs agricoles réussira à trouver une place au soleil. Au marché des idées, comme à celui des denrées, il faut une grande variété de produits. Les clients décideront au mérite.

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