Roman choc sur les pensionnats indiens : Le Pensionnaire crie au génocide culturel

Suzanne Régis, Innuvelle, Sept-Îles, mars 2010

Tout premier roman traitant de ce sujet brûlant, Le Pensionnaire de Chantal Potvin, est une œuvre qui en dit long sur le sort réservé aux jeunes Autochtones à l’époque des pensionnats. À partir de nombreux témoignages et documents recueillis, l’auteure a façonné un personnage fictif qui, dès son jeune âge, est enlevé de force à sa famille et envoyé dans un pensionnant. Ce roman est maintenant disponible depuis le 23 février 2010 dans toutes les libraires, édité par Les éditions JCL. En entrevue avec Innuvelle, Madame Potvin a raconté les motivations qui l’ont incitée à écrire ce livre.

 

Pourquoi avez-vous choisi d’écrire un roman sur les pensionnats indiens ?

 

Quand j’ai entendu l’expression pensionnant indien pour la première fois, je n’arrivais pas à comprendre pourquoi je n’en savais rien. J’ai alors effectué des recherches et visionné des reportages. Je présume que des conspirations ont été organisées afin que l’histoire épouvantable de ces 200 pensionnats canadiens soit étouffée. Ce fut un pur génocide culturel, rien de moins !

 

Que trouvez-vous de si épouvantable ?

 

Tout ! L’éducation raciste. La Loi des Indiens qui s’y rattache ; les abus sexuels ; le meurtre des langues autochtones ; l’assimilation ; l’exclusion ; les injures qui pleuvaient ; les enfances perdues ; les rapts d’enfants ; des parents qui refusaient mais qui étaient menacés. Je voudrais voyager dans le temps, retourner dans les pensionnats afin de bercer tendrement un de ses petits Indiens traumatisé à mort, dans l’un de ces endroits lugubres, sans amour et sans parents. Toutes les souffrances vécues par ces 150 000 enfants me donnent la chair de poule.

 

Combien de temps avez-vous consacré à la rédaction du Pensionnaire ?

 

Près de trois mois pour les recherches, les entrevues et la rédaction.

 

Quelles ont été vos démarches d’écriture ?

 

Après mes recherches, j’ai interrogé une quinzaine de survivants des pensionnats d’un peu partout au Québec et j’ai ficelé leurs témoignages pour créer. Le Pensionnaire, un homme dans la cinquantaine qui, du coq à l’âne, raconte les atrocités vécues.

 

Quel fut le rôle du peintre Ernest Dominique dans la réalisation de ce projet ?

 

Il a peint Les larmes de la douleur pour la page titre et a illustré le roman, pour le bâtir sur le modèle du Petit Prince de Saint-Exupéry. Ernest Dominique est un génie, un parfait prodige, c’est un honneur pour moi qu’il a illustré Le Pensionnaire.

 

Comment ont réagi les survivants rencontrés ?

 

À l’unanimité, ils ont jugé que c’était une excellente idée. Ils ont tous été touchés que leur histoire soir racontée dans un roman.

 

Avez-vous été émue ?

 

Certains témoignages m’ont dérangée, mais quand j’écrivais le soir, je comprenais la misère et la détresse sociale des Autochtones. J’ai pleuré en écrivant ce livre et en écoutant les enregistrements de leurs confidences, livrées à travers les larmes et longs silences.

 

Qu’est-ce qui vous a le plus touchée ?
 

Je dirais que les abus sexuels sont au top du palmarès des souffrances d’un enfant devenu adulte. Les survivants ont retenu cette souffrance-là dans leur ventre, leur gorge, leur esprit et leur cœur pendant tant d’années.

Vous écrivez dans la page de vos remerciements que le hockeyeur Arthur Quoquochi a été l’élément déclencheur de ce roman. Pourquoi ?

C’est un homme talentueux de Wemotaci. Il a dû mettre fin à une brillante carrière à 23 ans, alors qu’il s’élançait vers la ligne nationale. Il disait avoir trop souffert dans son enfance. M. Quoquochi a été le premier à me parler des pensionnats.

 

Pourquoi avoir choisi un sujet autochtone alors que vous n’êtes pas autochtone vous-même ?

 

C’est une façon de ne pas être accusée de prendre partie pour mon peuple. J’écris au nom de l’humanité.

 

Y a-t-il beaucoup de livres sur les pensionnats indiens ?

 

Selon moi, il s’agirait du premier roman au Québec traitant uniquement du sujet. Toutefois, Daniel Tremblay a publié un essai intitulé l’Éveil des survivants et certains auteurs autochtones, comme Marceline Boivin-Coocoo et Robert Boucher, tous deux de Wemotaci, ont écrit des récits. Aussi, l’Algonquin Michel Noël en fait mention dans ses romans. Je suis cependant assurée d’une chose : la littérature sur les pensionnats indiens est très mince.

 

Le Pensionnaire, est-ce un peu vous ?

 

Oui. Dû à une malformation au visage, j’ai souffert pendant toute mon enfance, je me suis battue moi aussi contre la cruauté et j’ai dû travailler pour faire accepter ma différence. Aussi, dans le roman, je suis la petite fille aux cailloux, celle qui rencontre Le Pensionnaire à un moment de sa vie. C’est une histoire vraie que j’ai vécue. Quand j’étais petite, j’allais sur les bords du chemin de fer derrière chez-moi pour donner des gâteaux à un clochard indien qui dormait dans le fossé.

Le roman est-il basé sur des faits vécus ?

 

Absolument, pour près de 90 % du roman.

 

Pourquoi les gens que vous avez rencontrés ne sont-ils pas nommés dans le livre ?

 

Promesse faite, promesse tenue. Je ne dévoilerai pas leurs noms. C’est leur jardin secret.

 

Quel est le commentaire qui vous a le plus touchée ?

 

Quand l’un des survivants m’a dit qu’il avait appris la mort de sa mère deux ans plus tard.

 

Comment est accueilli votre roman par les gens que vous rencontrez ?

 

Ils ont hâte de le lire pour découvrir ce qu’ils ignorent; les pensionnats indiens !

 

Quel avenir souhaitez-vous pour ce livre ?

 

Je voudrais qu’il ait une mission éducative, qu’il serve dans les écoles, afin d’apprendre aux jeunes de 13 ans et plus l’existence des pensionnats dans l’histoire de leurs pays. Ce n’est pas difficile de comprendre la détresse d’un peuple quand on sait que des générations entières n’ont ni eu le droit d’être enfant ni parent. C’est un pur génocide et il est temps d’en parler ouvertement, autant que cela a été fait pour les orphelins de Duplessis, ces milliers d’enfants faussement déclarés malades mentaux et confinés dans des asiles. Les orphelins de Duplessis sont considérés comme le pire cas de maltraitance d’enfants au Canada. Sans vouloir banaliser leur histoire, je dirais que les enfants de pensionnats indiens sont à égalité, si on fait la triste course à la souffrance et au décompte des vies brisées.

 

Quels ont été les commentaires des lecteurs ?

 

Les gens disent que c’est un sujet nouveau, qui a rarement été abordé. Après avoir lu ce livre, ils disent que leur vision envers les Autochtones change et que les préjugés diminuent.

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